Sept.info | Youssef al-Qaradawi, un sulfureux parrain (5/5)

Youssef al-Qaradawi, un sulfureux parrain (5/5)

Dans «Tariq Ramadan, une imposture» (Flammarion), Ian Hamel analyse les dessous d’une ascension ininterrompue, avec une profusion de sources considérable. Tariq Ramadan a des soutiens et sait conforter sa légitimité auprès d’aînés comme Youssef al-Qaradawi, pour le monde musulman fondamentaliste, mais aussi d’Edgar Morin, pour plaire à son public d’Occidentaux laïques. Extrait.

Hamel Ramadan Hamel Ramadan
En 2015, Tariq Ramadan a été nommé directeur du tout nouveau Centre de recherche sur la législation islamique et l'éthique (CILE) au Qatar avant d'être lâché par le petit émirat en 2018 à la suite de plusieurs plaintes pour viol à l'encontre de l'islamologue. © CILE

L'universitaire Haoues Seniguer tente d'expliquer pourquoi l'émirat du Qatar «sponsorise» Tariq Ramadan: «une parfaite maîtrise du français et de l'anglais, des connaissances de théologie islamique et une filiation avec le fondateur de la confrérie des Frères musulmans, Hassan al-Banna, dont il est le petit-fils, tout cela donne à Ramadan un capital symbolique inestimable», écrit-il dans la revue Confluences méditerranéennes. Dans un tout autre style, le livre Le vilain petit Qatar. Cet ami qui nous veut du mal estime qu'«en équivalent PSG, enrôler Tariq pour prêcher est tout aussi performant qu'engager Ibrahimovic pour dire la charia». Tariq Ramadan est l'un des «jokers» de Doha dans la lutte que livre le minuscule émirat contre son (très) grand voisin l'Arabie saoudite, et contre les Emirats arabes unis. Dans sa mégalomanie (le pays ne compte que 200’000 nationaux), l'émir Hamad ben Khalifa Al-Thani, arrivé au pouvoir en 1995 après avoir renversé son père, cherche à étendre son prestige aux musulmans du monde entier, en particulier à ceux établis en Europe. Il en a les moyens financiers, grâce à d'immenses réserves de gaz, et possède une arme redoutable, la chaîne Al-Jazeera, regardée par 40 millions d'auditeurs. A son service, le leader incontesté des Frères musulmans, Youssef al-Qaradawi (décédé le 22 septembre 2022, nda), qui a longtemps animé l'émission la plus regardée, La charia et la vie. Né en Égypte en 1926, diplômé de l'université d'al-Azhar, membre de la confrérie, Youssef al-Qaradawi est emprisonné à plusieurs reprises par Nasser. Il se réfugie au Qatar au début des années 1960, où il fonde à l'université le département des études islamiques. Le seul petit inconvénient, c'est que ce très réputé prédicateur (il s'est vu à deux reprises proposer la tête de la confrérie) ne fait pas vraiment dans la nuance. Le 30 janvier 2009, sur la chaîne qatarie, il déclare que «tout au long de l'histoire, Allah a imposé [aux Juifs] des personnes qui les puniraient de leur corruption. Le dernier châtiment a été administré par Hitler [...] C'est un châtiment divin. Si Allah veut, la prochaine fois, ce sera dans les mains des croyants.» Pour un peu, il encouragerait les musulmans à continuer le sale boulot commencé par le Führer.

Alors que l'islam interdit le suicide, comme de s'en prendre aux femmes et aux enfants, Youssef al-Qaradawi apporte son soutien au Hamas, justifiant le recours aux attentats-suicides en Israël, qu'il rebaptise «opérations martyrs». «Les opérations du Hamas sont le djihad et ceux [qui les accomplissent et] sont tués, sont considérés comme des martyrs», déclare-t-il en 2001, ajoutant que la société israélienne est une société militaire. «Tous les hommes et femmes sont soldats. Ils sont dans leur totalité des troupes d'occupation [...] Et si un enfant ou un vieux est tué dans ces opérations, il n'est pas visé, mais c'est par erreur, et en conséquence des nécessités absolues de la guerre, et les nécessités absolues lèvent les interdictions.» Lors de l'entretien qu'il nous a accordé en juin 2005, Youssef al-Qaradawi s'était plaint de l'attitude de certains pays occidentaux qui rechignaient à lui accorder un visa... Si de telles diatribes réjouissent les partisans de l'Etat islamique (notamment quand Qaradawi préconise de tuer systématiquement tous les Alaouites en Syrie, ce groupe religieux rattaché à l'islam chiite), en revanche, elles ne sont pas vraiment adaptées à des musulmans européens qui souhaitent majoritairement s'intégrer. D'où sa mise à la retraite en raison de son grand âge (93 ans en septembre 2019), et son remplacement par le «réformateur» Tariq Ramadan, «prêcheur alternatif entre Coran et Lumières». Ce dernier n'a pas la même envergure, ni le même bagage intellectuel, mais il est plus présentable, dans ses costumes bien coupés et sa chemise blanche ouverte. Le petit-fils d'Hassan al-Banna s'est toujours bien gardé de prendre clairement ses distances avec ce «parrain» pour le moins gênant. Dans L'islam et le réveil arabe, il parle même avec admiration du «célèbre cheikh al-Qaradawi». Déjà, dans Faut-il faire taire Tariq Ramadan? en 2005, le fils de Saïd Ramadan ne cachait pas son enthousiasme pour ce personnage sulfureux: «Toute personne, musulmane ou non, qui a étudié les sciences et le droit islamiques contemporains, sait quelle est la contribution de Youssef al-Qaradawi au débat et combien certaines de ses propositions juridiques sont novatrices. J'éprouve un profond respect pour l'homme et le savant et je serai le dernier à m'en cacher.» Plus récemment, en septembre 2019, Tariq Ramadan qualifie Qaradawi de «savant», qui apporte «une réflexion intéressante sur le droit musulman et la citoyenneté». Mais il prétend qu'il aurait «publiquement critiqué» certaines de ses positions. Par ailleurs, l'ancien altermondialiste ne semble pas se préoccuper outre mesure du sort des dizaines de milliers de travailleurs immigrés œuvrant dans des conditions inhumaines sur les chantiers de la Coupe du monde de football, prévue au Qatar en 2022. Dans Le Temps, en novembre 2013, il déclare pourtant qu'il est «très critique par rapport au Qatar. J'ai toujours refusé de participer à Al-Jazeera, en arabe, parce que c'est idéologique. Je n'ai jamais pensé qu'ils étaient libres.» Il ajoute toutefois, «je ne suis pas sûr qu'ils soient pour autant pro Frères musulmans». En fait, Tariq Ramadan prend la parole sur Al-Jazeera en anglais. S'il n'intervient pas en arabe, c'est tout simplement en raison de sa médiocre connaissance de la langue. Dans Devoir de vérité, contre toute logique, il jure qu'il existe des dizaines d'exemples de textes où il critique le Qatar, tout comme l'Iran, l'Arabie saoudite, la Turquie, l'Algérie, le Soudan. En se gardant bien d'indiquer dans quel média il ose mordre la main qui le nourrit... Sur la photo officielle, lors de l'inauguration en 2012 du Centre de recherche sur la législation islamique et l'éthique (CILE), la cheikha Mozah, l'épouse préférée de l'émir, pose entre Tariq Ramadan et Youssef al-Qaradawi, appuyé sur une canne. Apparemment fier de son «filleul», Youssef al-Qaradhawi, président de l'Union internationale des savants musulmans, déclare: «Je suis très content que ce soit le docteur Tariq Ramadan qui prenne la responsabilité de diriger ce centre. En effet, Tariq Ramadan est le fils de la da'awa [la prédication islamique]. Il est son descendant, son diplômé et il est le petit- fils de l'imam Hassan al-Banna [fondateur de la confrérie des Frères musulmans]» En 2016, Tariq Ramadan a rejoint l'Union internationale des savants musulmans.

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