Il en pinçait pour les récits de flibustiers, le cinéma muet et le free-jazz. Il appréciait les instantanés maritimes d’Anita Conti, les poèmes évaporés de la Beat generation et les géants sculptés d’Ousmane Sow. Il lisait sans frein, sans fin, en français comme en anglais, les incunables les plus secrets comme les nouveautés les plus inattendues. Il passait son temps à réviser ses classiques mais aussi à traquer les inconnus. Il appréciait de mélanger les points de vue et s’échinait tant que faire ce peut à réconcilier les contraires. Les grands espaces l’attiraient, mais les confidences minimalistes tout autant. Son éclectisme n’avait pas de borne. Son syncrétisme, pas de limite. Au débotté, il était capable de hiérarchiser les rituels vaudous, de démêler les sagas islandaises ou de distinguer les tribus apaches. Voyager était pour lui une raison de vivre tout comme l’était l’ouverture sur le monde et sur les autres. Il se sentait aussi à son aise à Missoula qu’à Sarajevo, à Bamako qu’à Haïfa. Sur son passeport, à la rubrique profession, il n’eût pas été sot qu’il inscrive le mot de «passeur». Le trait d’union était son emblème et la main tendue son blason. Tout le monde ne l’a pas lu, mais à y regarder de près, il n’est guère de bibliothèque en France et jusqu’au plus loin des frontières francophones qui ne compte, sur ses rayonnages, au moins l’une de ses découvertes. Michel Le Bris était sans doute un écrivain, un journaliste, un éditeur, un directeur de festival, un réalisateur de documentaire, un animateur de radio, il était d’abord et surtout un curieux!
La fois ultime où je lui ai rendu visite, dans son coin d’Armorique à l’extrémité de la crique de Ty Louzou entre Ténérez et Saint-Samson, non loin de Plougasnou, nous avons parlé – preuve de son infini champ de compétences – de vélo. De ce cyclisme de terroir, de ces kermesses finistériennes, de ces rondes municipales qui, à l’en croire, ont davantage participé à la reconstruction de la Bretagne d’après-guerre que tous les architectes diplômés et maçons italiens rassemblés. Le maître bâtisseur du moment s’appelait Jean Robic. Il tombait souvent, mais ne se plaignait jamais. Il était trapu, inélégant, mais exhibait un courage hérité en droite ligne de celui des habitants de l’île de Sein rejoignant Londres au plus fort de la tempête. On ne le surnommait pas «Gueule cassée» ou «Casque de cuir» par hasard. Des beignes et des blessures, le vainqueur du Tour de France 1947 en collectionna plus souvent qu’à son tour. Et c’est le portrait de ce prurit de malchance et de la persévérance réunies que Michel ambitionnait de camper en dernier ressort. Avec d’autant plus d’à-propos que le guignard majuscule non content de ne renoncer jamais se rengorgeait toujours pressé d’en remontrer à ceux qui, précisément, ne l’en croyaient pas capable. En abyme, c’est le roman d’une Bretagne insubmersible que le barde de Plougasnou espérait mener à son terme. Tel fut en tout cas l’ultime souhait qu’il me communiqua en cette après-midi d’août 2020 où, bien que fatigué, il exhalait un optimisme rafraîchissant.