Après plusieurs jours de mer, la baie s’offre à moi, pareille à mes lointains souvenirs. De nouvelles tours se sont élevées sur le front de mer et la ville s’est étendue loin de son épicentre historique, mais j’y retrouve les sensations qui m’avaient envahi lorsque je la contemplais de la terrasse où, la nuit du 30 juin 1997, les télévisions avaient installé leurs projecteurs et leurs caméras. Je me souviens de la fébrilité qui envahissait les envoyés spéciaux des grandes chaînes internationales pourtant rompus aux évènements du monde. J’en étais et ce fut un privilège. Mais au-delà de la fièvre que ressuscite ce panorama grandiose et toujours unique, que reste-t-il de mes certitudes?
Le bateau va mouiller dans quelques minutes, tandis qu’il se trouve à l’endroit même où le Britannia levait l’ancre au terme d’une administration coloniale plus que séculaire. A son bord se trouvaient le prince Charles et le gouverneur Chris Patten, dernier administrateur d’une fin de règne. Ce qu’ils abandonnaient derrière eux laissait prévoir un bouleversement qui dépassait les frontières de l’ancienne concession. A l’aune d’une ère qui sera celle d’un nouvel empire, la Chine avait édicté des règles inédites qui décevront les espoirs un peu naïfs des Occidentaux. L’empreinte démocratique du vieux monde qu’ils avaient voulu lui donner en guise de codicille s’avérait politiquement incorrecte pour les nouveaux maîtres de Pékin. Du pont promenade, je contemple la façade du continent qui me fait face. C’est un embrasement de lumières qui ne s’éteignent jamais, qui imprègnent les nuages et ne disparaissent qu’à la brume tombée, lorsqu’elle descend des collines. Les mêmes entrelacs de routes et la même cohue désordonnée essaime en tous sens. Le bateau accoste et je suis impatient de descendre à terre, mais à cette heure tardive il est impossible de débarquer. Encore une nuit… encore un peu de patience.