Né le 5 novembre 1930, Clifford Irving avait 39 ans quand il publia Fake, la biographie du peintre faussaire hongrois Elmyr de Hory, un génie du pinceau rencontré à Ibiza où résidait l’écrivain. De Hory était capable de produire à la chaîne des Picasso, Modigliani ou Matisse plus vrais que nature, qui avaient fait la fortune de galeristes peu scrupuleux. Son exemple inspira à Irving un projet fou deux ans plus tard, une arnaque littéraire de grande ampleur. L’une des figures les plus mystérieuses de l’époque devait servir de support à ce projet: le magnat excentrique Howard Hughes, ancien propriétaire des studios de cinéma RKO, de la compagnie aérienne TWA ou encore exploitant de casinos. Ce dernier vivait alors retiré du monde dans un hôtel des Bahamas et nourrissait de multiples fantasmes sur son mode de vie et sa santé mentale. Fasciné, le grand public était avide d’informations alors que peu de livres étaient disponibles à son sujet.
Avec l’aide d’un ami écrivain, Dick Suskind, Irving développa, comme un jeu intellectuel, l’idée de vendre à son éditeur McGraw-Hill le projet d’un livre d’entretiens avec le milliardaire reclus. Le projet présentait deux difficultés principales: faire adhérer l’éditeur à son histoire d’une rencontre impromptue avec Hughes et d’une estime réciproque permettant de développer le projet d’un livre en commun mais aussi trouver un circuit plausible pour faire transiter l’argent que verserait l’éditeur à «Howard Hughes». Cette deuxième question fut résolue lorsque l’épouse de Suskind, qui était suisse, parvint à ouvrir dans une banque helvétique un compte au nom de «Helen R. Hughes» en trafiquant son passeport de jeune fille. McGraw-Hill serait prié de rédiger les chèques à l’ordre de «H.R. Hughes» et le célèbre secret bancaire suisse ferait le reste. Ces extraits des mémoires d’Irving expliquent comment il parvint à produire un livre convaincant et à abuser McGraw-Hill jusqu’à la publication du livre: il est rare de suivre ainsi de l’intérieur le travail d’un faussaire! Même d’anciens collaborateurs de Hughes qui ne croyaient pas à l’authenticité du projet furent ainsi contraints après lecture de reconnaître que le récit et les expressions prêtées au milliardaire leur semblaient authentiques. Pour ajouter à la confusion, une société d’expertises graphologiques ayant pignon sur rue certifia que les lettres manuscrites de Hughes acceptant de collaborer avec Irving étaient authentiques!