Par un frais mardi du printemps 1976, deux responsables de la Sugar Association s’avancent vers l’estrade d’une salle de bal de Chicago pour recevoir l’Oscar du monde des relations publiques, cette Silver Anvil (enclume d’argent) qui récompense l’excellence en matière de «formation de l’opinion publique».
Le lobby venait de réussir l’une des plus spectaculaires volte-face de l’histoire de la communication. Pendant près d’une décennie, le secteur avait été ballotté de crise en crise, les médias et l’opinion s’en prenant au sucre, tandis que les scientifiques commençaient à y voir une cause probable de l’obésité, du diabète et de la maladie cardiaque (expression qui désigne l’ensemble des maladies cardio-vasculaires, ndlr).
Des publicités prétendant que le sucre aidait à perdre du poids avaient dû être retirées à la demande de la Federal Trade Commission (FTC) et la Food and Drug Administration (FDA) avait engagé une étude sur ses dangers. La consommation s’était affaissée de 12% en deux ans.
Le sourire qu’affichaient ce jour-là John «JW» Tatem Jr. et Jack O’Connell Jr., respectivement président et directeur des relations publiques de la Sugar Association, leur trophée à la main, en disait long sur le coup qu’ils venaient de réussir.
La campagne, montée avec l’aide de la prestigieuse firme de relations publiques Carl Byoir & Associates, avait été décidée après la parution d’une enquête d’opinion montrant que les consommateurs considéraient désormais le sucre comme un facteur d’obésité, et que la plupart des médecins le soupçonnaient d’aggraver, voire de causer la maladie cardiaque et le diabète.
Forte d’un budget annuel initial de près de 800'000 dollars (soit environ 3,4 millions francs suisses actuels) collectés auprès des principaux producteurs américains, l’association avait donc recruté toute une écurie de professionnels de la médecine et de la nutrition pour apaiser les craintes de la population.