Le 17 octobre 2024, une journée de conférences se tenait à l’Ecole militaire à Paris au sein de l’Observatoire des conflits du Centre d’études stratégiques - Terre qui avait pour thème «la guerre pour Gaza». Parmi les intervenants était présent Elyamine Settoul, docteur en sciences politiques habilité à diriger des recherches (HDR), spécialiste des phénomènes de radicalisation et maître de conférences au Conservatoire national des arts et métiers. Charismatique, plutôt sympathique, celui-ci consacra une partie de son intervention au Hamas, s’interrogeant sur le fait que l’organisation palestinienne à l’origine du pogrom du 7 octobre 2023 soit qualifiée de «terroriste». Il n’hésita pas, au passage, à faire une comparaison pour le moins singulière entre l’organisation terroriste palestinienne et la résistance française. Une mise en équivalence que l’on pourra juger banale par les temps qui courent, mais qui choquera la plupart des spécialistes. Le Hamas, parrainé par la République islamique d’Iran, auteur du pogrom du 7 octobre 2023 en Israël, est en effet inscrit sur la liste des organisations terroristes du Conseil de l’Union européenne, du Canada, des Etats-Unis, ou encore d’Israël. On peut bien considérer qu’Elyamine Settoul, éminent chercheur, a fait preuve de maladresse, voire d’un relativisme crasse durant son intervention et que cela ne mérite pas davantage de commentaires. Le problème, c’est qu’il n’en n’est pas à son premier «essai» en matière d’indulgence envers l’islamisme pro-iranien.
Il
est ainsi intervenu, le 2 janvier 2022, dans le cadre d’une
conférence organisée en Suisse par l’association Cri
Voix des victimes
(CVDV),
dont
il est également le vice-président (il
y a quelques années, la
CVDV
a invité plusieurs journalistes et chercheurs français spécialistes
du Moyen-Orient – dont
je faisais partie
– qui alertaient sur la menace frériste, pour qu’ils
interviennent bénévolement sur la question de la menace terroriste
islamiste. Il a été supposé qu’il s’agissait d’une
«opération séduction», ndlr),
et la Fondation islamique et culturelle d'Ahl El Beit (FICA) de
Genève, dans un cadre pour le moins dérangeant. Bien que le titre
de cette conférence – A-t-on
vraiment vaincu le terrorisme?
– était plus
que convenu, la
CVDV
avait édité un
affiche de promotion de la soirée qui stipulait que celle-ci était
organisée «en hommage aux héros de la résistance», à savoir le
général iranien Qassem Soleimani, ex-commandant en chef de la force
Al-Qods, l’unité d’élite en charge des opérations extérieures
du Corps des Gardiens de la Révolution islamique, tué lors d’une
frappe américaine en Irak en 2020, et Abou Mehdi al-Mouhandis, son
bras droit en Irak, placé par Washington sur la liste des individus
visés par des sanctions pour terrorisme. Ce dernier était
soupçonné, entre autres, d’avoir été partie prenante dans les
attentats contre les Ambassades de France et des Etats-Unis au
Koweït, en décembre 1983. La force Al-Qods, quant à elle, est
impliquée, aux côtés du Hezbollah, dans le trafic de drogue
(cocaïne,
captagon),
le trafic d’armes et le blanchiment d’argent. Spécialiste de la
guerre asymétrique, de la cyberguerre, des opérations
d’infiltration et d’influence, elle coordonne depuis 30 ans, avec
la milice chiite libanaise – créée en 1982 par le Corps des
Gardiens de la Révolution islamique –, la plupart de ses attaques
contre Israël et de nombreux attentats. Elle fournit des armes aux
groupes djihadistes soutenus par la République islamique d’Iran
comme le Hamas ou le Djihad islamique, et les forme militairement. En
Syrie, ses troupes ont apporté une assistance essentielle à Bachar
el-Assad. En
2017, le Département
du Trésor
des Etats-Unis a désigné le Corps des Gardiens de la Révolution
islamique comme groupe terroriste en vertu du décret exécutif
13224, «pour
ses activités de soutien à l’IRGC-QF» (acronyme
anglais pour Islamic Revolutionary Guard Corps-Qods Force, ndlr).
Le
15 avril 2019, le Département
d’Etat américain a enfin désigné le Corps des Gardiens de la
Révolution Islamique, avec sa force Al-Qods, comme organisation
terroriste étrangère. Plus près de nous, le vendredi 8 novembre
2024, un compte twitter se revendiquant de la ligne de la force
Al-Qods, indiquait, au lendemain du pogrom d’Amsterdam: «Jusqu'à
présent, 10 Israéliens ont été blessés... et certains rapports
indiquent que 7 sionistes sont portés disparus. Aucun endroit au
monde ne devrait être sûr pour les sionistes.»
Des mots terrifiants.
Dès lors, qu’est ce qui pouvait motiver un honorable chercheur français à intervenir dans une conférence pour le moins complaisante à l’égard de deux personnalités iraniennes liées au terrorisme islamiste international? Pourquoi, en sa qualité de vice-président d’une des deux associations invitantes, a-t-il accepté qu’une telle réunion se tienne? Nous avons visionné une vidéo de la conférence mise en ligne. On y voit un reportage précédant l’intervention d’Elyamine Settoul qui met en scène Abou Mehdi al-Mouhandis peu avant sa mort, citant en persan l’ayatollah Khomeini comparant les Etats-Unis «au diable» et se lançant dans un récit quasi mystique de sa relation avec le chef de la force Al-Qods, Qassem Soleimani. Le «professeur» Settoul prend ensuite la parole en direct simultané via visioconférence – sans parler des attentats perpétrés par Abou Mehdi al-Mouhandis et Al-Qods –, aux côtés d’un invité de son association, bien connu lui aussi des services antiterroristes occidentaux: le cheikh Ali Sbeiti, imam chiite lié au Hezbollah libanais, officiant notamment au Canada et qui, selon l’un de nos contacts au sein du régime iranien, «dépend du guide suprême de la révolution islamique». Ali Sbeiti – nous avons pu le vérifier – a suivi une formation au sein de l’Université religieuse de Qom, aux mains des religieux iraniens et de la force Al-Qods, qui forme les agents d’influence de la République islamique d’Iran. Tout «étudiant» étranger admis à y suivre des cours doit prêter serment d’allégeance au guide suprême Ali Khamenei… En février 2015, les autorités fédérales canadiennes ont confisqué le passeport de Sbeiti, à la suite d’une enquête criminelle conduite par la sécurité nationale, avant qu’il lui soit restitué et que l’on apprenne qu’il était sous surveillance des services canadiens, et qu’il organisait des célébrations en hommage à l’ayatollah Khomeini, fondateur de la République islamique d’Iran.
On pourra évidemment rétorquer qu’Elyamine Settoul ne connaissait pas les accointances d’Ali Sbeiti avec la sphère islamiste iranienne et le Hezbollah. Elles ont pourtant fait l’objet de plusieurs articles en sources ouvertes que tout chercheur avisé peut trouver sur Internet. On peut aussi se demander s’il avait entendu parler de Qassem Soleimani et d’Abou Mehdi al-Mouhandis, dont les portraits figuraient sur l’affiche de la conférence. Mais encore une fois, compte tenu de son niveau d’expertise et de la rigueur que celle-ci implique, il ne pouvait pas ne pas savoir de qui il s’agissait. Et c’est d’autant plus ennuyeux que ladite affiche rend «hommage» à deux membres d’une organisation connue par les experts pour être impliquée dans des dizaines d’attentats et d’opérations terroristes depuis plus de 30 ans. Là encore, cela n’a pas semblé embarrasser Elyamine Settoul, qui n’a jamais évoqué le parcours des deux hommes, ni même questionné Ali Sbeiti sur son lien avec le Hezbollah.