Sept.info | Anne Bonny et Mary Read, les amants pirates

Anne Bonny et Mary Read, les amants pirates

 © Mathilde Rives

Aux îles du Bahamas, deux femmes ont su jouer de leurs charmes pour assouvir leurs désirs d'aventures maritimes. Prêtes à se travestir en hommes pour combattre, leur relation amoureuse sera l'une de leurs forces.

C'est en automne 1716 que les anciens flibustiers, chassés de la Caraïbe par autorité royale dans les premières années du siècle, se sont regroupés aux îles Bahamas. Peu de temps après, l'île de la Providence tenait lieu de nouveau repaire de brigands, d'où sortiraient bientôt les forbans les plus célèbres de l'histoire maritime: Teach Barbe-Noire et Tom Tew, Nathaniel North et Edward Low, Stede Bonnet et Bartholomew Roberts... La liste constituée par Daniel Defoe en 1724 donne toute la mesure de cette société marginale, au sein de laquelle plusieurs femmes se sont frayé un chemin vers la légende: Anne Bonny et Mary Read sont aujourd'hui leurs ambassadrices les plus connues. Au printemps 1718, le roi George Ier d'Angleterre, qui venait de succéder à la reine Anne, chargea le capitaine Rogers de proposer une amnistie aux nombreux pirates qui hantaient la mer des Antilles. Usant de sa persuasion, ce dernier sillonna la région en appelant à la raison tous les prédateurs qu'il croisait sur sa route. Un jour, il se présenta devant la Nouvelle-Providence où mouillait le bâtiment de Charles Vane. Tous les pirates qui se trouvaient dans le port acceptèrent de déposer les armes, à l'exception de Vane qui prit la fuite aussitôt qu'il aperçut les navires de guerre de Sa Majesté. Rogers, qui avait pour mission de réduire la piraterie par la promesse du pardon royal, constata, mais un peu tard, que certains forbans ne comprenaient que le langage des armes. De fait, si nombre d'entre eux se résolurent à changer de vie, d'autres choisirent de poursuivre leurs exactions sous d'autres cieux, loin des terres américaines où ils avaient exercé leur «métier» en toute impunité.

A bord du vaisseau de Charles Vane se trouvait un forban de la trempe des héros: il s'appelait John Rackam et n'était encore que le second de Vane, mais la rencontre qu'il allait faire peu de temps après ne tarderait pas à le mettre en face de son destin. Anne Cormac était née en 1695 en Irlande, des amours coupables de son père avec une jeune employée de maison. Contraint de s'exiler peu après la naissance de l'enfant, l'ancien avoué de Cork, banni par sa famille, s'installa dans le Nouveau Monde où son génie des affaires lui permit de faire fortune rapidement. Au bout de quelques années, il s'était refait une situation enviable et fréquentait les milieux les plus aisés de Charlestone. Anne, qui avait l'esprit révolté, passait son temps sur les quais à rêver de voyages au long cours; elle se mêlait volontiers aux bordées de matelots qui rentraient d'expédition. A seize ans, les tavernes du port n'avaient plus de secrets pour elle. Mais si chacun lui promettait de l'emmener à l'aventure, personne jusqu'ici n'avait osé enlever l'héritière de William Cormac! Et la jeune fille enrageait devant la couardise des hommes qui n'allaient pas jusqu'au bout de leurs promesses. 

Puis un jour, un jeune garçon d'apparence timide lui offrit de l'épouser. Il s'appelait James Bonny. Il n'avait pas grand avenir, mais il lui proposait un navire et le monde qu'elle s'était juré de saisir lorsqu'il passerait à portée de son impatience. Malheureusement, William Cormac avait d'autres ambitions pour sa fille et le pauvre garçon fut éconduit avant d'avoir osé formuler sa demande. Anne, qui n'acceptait pas d'être contredite, persuada son ami de l'emmener sans le consentement de son père, de s'enfuir avec elle à bord du bâtiment sur lequel il était enrôlé, puis de vivre leur vie au jour le jour, à même l'aventure — comme font les forbans des Sept Mers... C'est ainsi qu'ils quittèrent Charlestone, un beau matin de 1717. Anne Cormac, que personne n'avait vue monter à bord, se cacha dans les entrailles du navire commandé par Charles Vane. Tapie dans les profondeurs de la cale, elle n'en sortit que pour prendre l'air du large et s'enivrer de projets audacieux. Elle supporta la chaleur et la moiteur de l'enfermement, les longues attentes dans le noir et la proximité des rats, le feu des canons ennemis dont les boulets pouvaient à tout moment l'emporter... Elle était prête à tout accepter, car elle était de l'étoffe de celles qui ont un avenir sur la mer.

La rade de la Nouvelle-Providence était un lieu clos que les navires du roi évitaient de fréquenter: une sorte de port franc du commerce interlope dont le trafic était supérieur à bien des ports de l'Amérique. Dès que le vaisseau de Vane eut jeté l'ancre, Anne fut impressionnée par le nombre de bâtiments qui l'environnaient, de toutes tailles et de toutes provenances; car il n' y avait pas que des forbans dans ce lieu de toutes les aventures: les marchands de tout le continent venaient y commercer, les affaires y étaient fructueuses et les compagnies européennes n'étaient pas les dernières à profiter de cette libéralité. Sur la plage, les ruines d'un fort dressaient une masse informe entourée de cabanons de planches et de tentes abritant une population hétéroclite et bigarrée. Les premières semaines de son séjour furent les plus enivrantes pour la jeune fille que tout émerveillait. Elle découvrait le monde avec les yeux gourmands d'un enfant. James Bonny lui présentait de nouveaux compagnons chaque jour et son enthousiasme croissait au gré des rencontres et de ses nouvelles amitiés. Un jour, tandis qu'un chapelain les avait furtivement unis devant Dieu, elle se campa devant son homme, et les mains sur les hanches elle lui déclara sans hésiter:
- James, mon ami, je ne supporte plus de rester à terre. Arrange-toi pour que le capitaine Vane me prenne officiellement à son bord à son prochain voyage!

Bonny, qui était de nature jalouse, n'aimait pas que sa femme se mêlât aux forbans dont il connaissait la rudesse et le sans-gêne; d'autant qu'elle ne laissait pas d'inquiéter son mari par ses mœurs délurées. Parmi les hommes les plus en vue de Providence, John Rackam — dit Calicot Jack —, bénéficiait des faveurs de la belle au su de tout le monde. A tel point que James Bonny vint s'en plaindre à son capitaine, qui le reçut «comme un homme mérite d'être traité quand il n'est pas capable de garder sa femme»! Rackam, qui la couvrait d'attentions, prenait de moins en moins souvent la mer et profitait des absences prolongées de James Bonny pour filer le parfait amour avec l'indélicate créature. Durant les mois d'hivers qui suivirent, où les campagnes de course remplissent les coffres en toute impunité, les pirates partirent maintes fois en expédition sans qu'Anne Bonny fût invitée à partager les émotions des abordages et les combats sanglants qui s'ensuivaient sur le pont, dans la mâture et les cales des vaisseaux. Ses aventures galantes ne lui faisaient pas oublier sa vocation maritime: elles n'étaient qu'une parenthèse, une façon pour elle de se mettre un peu de vent dans la tête. Pendant ce temps, soit entre le 29 mars et le 22 avril 1718, Charles Vane et son second John Rackam arraisonnèrent une chaloupe de La Barbade, se rendirent maîtres d'un petit bâtiment de contrebandiers, le Jean-Elizabeth, incendièrent un navire espagnol qui se rendait à La Havane et se saisirent de deux embarcations richement pourvues de provisions de mer, tandis qu'ils se dirigeaient vers l'île d'Anguilla. «Quelque temps après, raconte Daniel Defoe, faisant route vers le nord ils prirent plusieurs vaisseaux qu'ils pillèrent et laissèrent passer, après en avoir enlevé ce qui les accommodait...» De retour à la Nouvelle-Providence au mois de mai 1718, les pirates apprirent que le roi George avait promis l'amnistie à tous les forbans qui lui obéiraient, sans recourir à la violence et sous promesse de rendre les armes et d'abandonner leurs prises à la Couronne. L'Angleterre, qui cherchait à purger ses routes maritimes du fléau grandissant de la piraterie, monnayait l'impunité des brigands qu'elle avait laissés s'installer dans ses colonies.

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