Kham Ta se souvient très bien du jour où elle a vu rouge. «Je me suis réveillée un matin et mes champs avaient disparu», raconte cette femme de 54 ans au visage buriné par le soleil, qui va pieds nus. Durant la nuit, l'entreprise vietnamienne Hoàng Anh Gia Lai (HAGL) a débarqué sur ses deux hectares de rizière avec une machine de chantier. «Ils ont tout aplati et détruit mes cultures, sans rien me demander», confie-t-elle, le regard sombre, assise sur le porche d'une maison d'Hatxane, un village tout au sud du Laos.
Furieuse, elle s'est rendue au quartier général de HAGL à quelques kilomètres de là, dans une grande demeure blanche flambant neuve sise au milieu d'un jardin au gazon parfaitement manucuré, et a exigé réparation. «On m'a dit que je ne toucherais que 500'000 kips (59 francs) par hectare de champ perdu, alors j'ai refusé de m'en aller», s'emporte-t-elle. Elle a fini par obtenir 3 millions de kips (356 francs), bien en deçà du prix courant pour ce genre de terres arables qui se négocient normalement 8 millions de kips l'hectare (près de 1'000 francs).
L'histoire de Kham Ta n’est de loin pas un cas isolé dans ce petit pays d'Asie du Sud-Est. Depuis les années 2000, des dizaines de paysans se sont vu déposséder de leurs champs. La faute au boom récent de l’industrie du caoutchouc: le latex issu des hévéas plantés sur ces sols volés sert à fabriquer les pneus des voitures vendus dans le monde entier, y compris en Europe et en Suisse.