Larry Ellison, acheteur «providentiel» d'une île hawaïenne (2/3)

© Flickr
La plage Polihua sur l'île de Lanai, Hawai. 

Larry Ellison, ex-PDG d'Oracle et cinquième homme le plus riche du monde, a racheté en 2012 Lanai, une île de l’archipel hawaïen, en promettant d’en faire un Eden. Deux ans après, les habitants ont commencé à déchanter.

Fin 2013, j’ai demandé à Pat Reilly, un habitué du Blue Ginger Cafe âgé de 74 ans, portant une fine moustache blanche et des lunettes trop grandes, ce qu’il avait pensé en apprenant le rachat de l’île. Reilly, qui vit à Lanai depuis plus de 30 ans, a tendu la main vers sa tasse de café et tracé un grand et long point d’interrogation dans l’air, avant de marquer le point en me pressant de son index, bien fort. «Et ça n’a pas changé.» Comme beaucoup d’autres forces omnipotentes, Ellison est resté la plupart du temps invisible. Il a visité Lanai à plusieurs reprises. Les habitants m’ont confié qu’ils savaient qu’il était sur l’île quand ils repéraient son yacht amarré au port. Mais il semble déterminé à conserver une distance formelle avec la communauté, se protégeant derrière l’équipe de direction de Pulama Lanai, l’entreprise de gestion qu’il a mise en place afin de veiller sur la marche de la transformation de l’île. Bien que Pulama tienne des rencontres fréquentes avec le public à Lanai, Ellison a toujours refusé d’y participer ou de s’adresser directement aux habitants. Plusieurs d’entre eux m’ont avoué qu’ils avaient dû se résoudre à lire des biographies d’Ellison afin d’en apprendre plus sur leur bienfaiteur: des livres aux titres quelque peu troublants, tels que Everyone Else Must Fail (Tous les autres doivent échouer) et The Difference Between God and Larry Ellison (La différence entre Dieu et Larry Ellison), dont la conclusion est: «Dieu ne pense pas être Larry Ellison.»

Sa vision de l’île a d’abord été présentée en 2013, par procuration, durant une réunion du Comité consultatif pour les projets communautaires. Ces réunions se faisaient dans le cadre de la procédure d’amélioration du document de planification par le Gouvernement local, document qui dicte tout, du zonage et de l’utilisation des terres à la préservation culturelle. Butch Gima, un travailleur social originaire de Lanai qui a présidé au comité, m’a confié que la reprise d’Ellison les mettait dans une situation délicate. Elle laisse cependant place à davantage d’ambition. «Un nouveau monde s’ouvre à nous», a déclaré l’un des membres au comité. Mais il était étrange d’établir un plan pour une île contrôlée par quelqu’un d’autre. Même l’étude économique du comité et les prévisions de croissance pouvaient se révéler obsolètes en fonction de ce qu’Ellison comptait faire. C’est pourquoi ils ont invité le nouveau directeur des opérations de Pulama, Kurt Matsumoto, pour les briefer. Matsumoto avait été embauché quelques mois auparavant afin de surveiller les opérations à Lanai. Il avait de l’expérience dans la gestion de grands hôtels, et c’était par ailleurs un «enfant de Lanai», comme les gens n’ont pas arrêté de me le répéter: il avait grandi sur l’île. «On ne dirait pas comme ça, mais il est très doué», m’assure Gima. Enfants, Gima et Matsumoto ont été scouts ensemble. Son affectation était encourageante: la relation entre l’île et son nouveau propriétaire avait été ramenée à une dimension plus humaine. 

Matsumoto s’est montré au comité à la mi-janvier 2013, tel Moïse parmi les cadres intermédiaires, descendu de la montagne avec entre les mains son PowerPoint divin. En guise d’introduction, il a expliqué qu’Ellison n’avait pas encore de plan définitif, seulement des «intentions». Puis il a lancé la première diapositive. Cette nuit-là, et durant d’autres réunions, Matsumoto a révélé une vision très ambitieuse pour l’île. Il a expliqué qu’Ellison cherchait à faire construire un troisième hôtel, cette fois sur la côte déserte au sud-ouest, ainsi qu’un complexe de propriétés privées – peut-être cinquante, de 20’000 m² ou plus. Ellison comptait agrandir l’aéroport, en ajoutant des pistes plus longues afin de recevoir pour la première fois des vols directs à partir du continent. La contrainte sur Lanai avait toujours été l’eau, mais Ellison allait construire une station de dessalement dernier cri afin de produire davantage d’eau douce. Ellison étendrait Lanai City et construirait un «parc énergétique» où l’électricité issue de panneaux solaires ou d’algues photosynthétiques alimenterait un nouveau smart grid. Il rétablirait l’agriculture commerciale sur l’île avec des champs équipés de capteurs, pour contrôler la fertilisation et l’irrigation. Ainsi, Lanai pourrait s’auto-suffire et même exporter ses produits, au lieu de dépendre des barges hebdomadaires d’Oahu. Enfin, Matsumoto a annoncé au Wall Street Journal qu’Ellison espérait voir la population de l’île doubler et atteindre les 6’000 habitants. Ailleurs, il était question de vins bio, de cultures de fleurs, d’opérations innovantes mélangeant aquaponie et hydroponie qui permettraient d’élever des poissons et de faire pousser des fruits et des légumes, le tout dans un cercle vertueux durable. En bonus, de meilleurs soins, un bowling, un institut d’études sur la durabilité, un studio de cinéma d’environ 80’000 m². Sans oublier une excellente académie de tennis avec ses résidences, pour les jeunes compétitifs.

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