Natif de Bretagne, Laurent Geslin a toujours été passionné par la vie sauvage et notamment les mammifères. La forêt de Brocéliande, près de laquelle vivait sa grand-mère, n’est sans doute pas étrangère à sa passion. Après son hommage à la biodiversité au coeur de la ville (Safari urbain, Altus Editions, 2010), il s'est installé en Suisse pour satisfaire une quasi obsession: voir et de photographier le lynx boréal. Depuis des années, le photographe animalier planque et le piste dans les montagnes jurassiennes. Avec la collaboration du KORA (projet de recherche scientifique sur les grands prédateurs en Suisse) et l’aide technique de pièges photographiques – des appareils munis de détecteurs de mouvements et d’un déclenchement automatique – placés «dans les endroits les plus secrets du Jura et des pré-alpes», il a recueilli nombre d'images du plus grand félin d'Europe réunies dans un ouvrage somptueux (Lynx, Regards croisés, Editions Slatkine, 2014) qui fait également le point sur la situation du lynx en Europe et propose de nombreux témoignages.
Entre le lynx et vous, c’est une histoire d’amour?
Depuis tout gamin, le lynx me fascine, oui. Je savais que c’était un animal extrêmement difficile à photographier. Avant de devenir photographe, j’ai été guide naturaliste, en Bretagne mais aussi en Namibie et en Afrique du Sud. En France, j’ai fait ce que j’ai appelé du safari urbain. Je me suis rendu compte qu’il n’y a pas besoin d’aller très loin pour découvrir les merveilles de la nature.
Quelle est l’idée derrière ce projet?
Je voulais impérativement montrer que ces animaux sont capables de vivre à proximité de l’homme, qu’ils s’adaptent bien. L’idée n’était pas de donner à voir un animal sauvage dans la nature, mais bien un animal qui a su s’intégrer, malgré son territoire immense, dans un pays au maillage très dense tel que le nôtre. Le contact avec les scientifiques du Kora s’est fait tout naturellement, la collaboration était lancée.
Beaucoup d’images ont été prises au moyen de pièges photographiques. Etait-ce indispensable?
Lorsque le lynx est devenu mon projet professionnel, j’ai su que je ne pourrais pas me passer de ces pièges. Ce félin est extrêmement discret, très difficile à photographier tel quel. Le piège photographique est très fréquemment utilisé dans les pays exotiques. Pourquoi pas chez nous?
Sur le terrain, comment cela se passe-t-il?
Il m’a d’abord fallu une année pour avoir les budgets nécessaires. J’ai passé énormément de temps à effectuer des essais, à tester le matériel. Après, il faut aller relever les pièges chaque semaine ou tous les dix jours en moyenne. Il y a toujours quelque chose à régler, enlever les cartes, retirer une branche tombée qui obstrue l’objectif, déblayer le mètre de neige tombée… Au total, depuis 4 ans, je dispose de sept pièges, installés dans des endroits propices. Les pièges sont en place et moi, je travaille sur le terrain. Soit je suis en repérage, soit je prépare mes affûts. Une manière de doubler mes chances.
N’avez-vous pas peur qu’on abîme le matériel?
Il est verrouillé, avec de gros câbles autour et un panneau explicatif pour que les passants évitent de le toucher. J’ai bien sûr eu des images de grimaces ou de promeneurs qui se sont mis tout nus, mais rien de méchant.
Vous ne savez jamais si le piège a fonctionné?
En effet, la surprise est toujours au rendez-vous, que ce soit avec les images de lynx ou d’autres animaux. Les appareils ont pris des martres, des fouines, des chats sauvages… La grosse surprise a quand même été ce loup saisi sur Fribourg! Et puis, bien sûr, il y a des tas de clichés sur lesquels l’animal saisi ferme les yeux, ne regarde pas du bon côté. J’ai tout un tas d’images inexploitées. Mais quand tout fonctionne, la surprise est très belle.
On voit sur les images toute une faune que le néophyte n’imagine même pas. Sans parler des humains.
Je voulais montrer que la présence du lynx n’empêche pas la présence d’autres bêtes. Le Jura notamment a une biodiversité fantastique, avec beaucoup de mammifères différents. Quant aux gens qui passent ou les lumières de la ville en contrebas, c’est de nouveau pour montrer que le lynx vit tout près de nous.