L’épaule gauche se lève et se rabaisse seule, hors du contrôle d’Assaad Chaftari. Un tic nerveux avec lequel l’ancien numéro deux des services de renseignements des Forces libanaises (FL) a appris à vivre. Un geste frénétique qui exprime l’inconfort d’être soi. Qui raconte le malaise du premier ancien combattant libanais à avoir demandé pardon publiquement pour ses crimes de guerre. Dans une lettre publiée le 10 janvier 2000, il écrit: «Pardon, à tous ceux que j’ai torturés, tous ceux qui ont été mes victimes, qu’ils l’aient su ou pas. Plus loin, il précise: C’est la seule manière de faire de moi une nouvelle personne, prête pour la période d’après-guerre.»
Assaad coexiste avec son tic comme avec sa mémoire, tâchée du sang des autres. Il assume les deux. Agé de 60 ans, il revient sans fard sur le jeune homme de 20 ans qu’il était quand la guerre civile a éclaté: «J’étais empli de l’ignorance de l’autre et des préjugés diffusés par la société, que j’avais faits miens. Nous étions de première catégorie et les musulmans de seconde classe. J’étais en quatrième année de génie civil quand la guerre a éclaté. J’ai vite rejoint les services de renseignements des FL. J’ai évolué avec la cause, jusqu’à devenir le numéro deux. Notre rôle était de saboter les structures de l’ennemi, de tuer ses chefs, mais aussi le contre-renseignement et l’espionnage.» La biographie du sexagénaire à l’épaule crispée et aux yeux de mime dépressif est aujourd’hui connue au Liban. Son destin est retracé dans le documentaire Sleepless nights d’Eliane Raheb. Face à la caméra, il revient sur ce besoin singulier de demander pardon: «Je serais doublement criminel si je gardais mon secret pour moi.» Doublement criminel? L’amnistie générale votée le 26 août 1991 par les députés a pourtant effacé tous les crimes commis jusqu’au 28 mars 1991. Avoir été milicien n’implique donc pas de devoir répondre de ses actes. Peu importe que la guerre civile libanaise ait donné lieu aux pires atrocités: enlèvements, tortures, viols, massacres et charniers. Au contraire, avoir fait la guerre assure à beaucoup un avenir, en raison de «la cooptation de dirigeants d’organisations miliciennes, d’abord au gouvernement, ensuite au Parlement, enfin dans l’administration lors de la nomination de nouveaux titulaires», écrit Elisabeth Picard dans l’article Les habits neufs du communautarisme libanais.