Député et ex-ministre du Liban, frère de la poétesse Nadia Tuéni, Marwan Hamadé est rescapé d’un attentat-suicide commis en 2004. En 2005, il perdait son neveu, Gebrane Tuéni, lors d’un attentat à la voiture piégée. Cet inlassable combattant pour la démocratie et la liberté continue d’être menacé par la Syrie et ses affidés au Liban. Il se déplace toujours en voiture blindée, accompagné de deux gardes du corps, tout en sachant que ces mesures de sécurité ne sont jamais infaillibles.
Un attentat, revendiqué par Daech, s’est produit le 12 novembre 2015 à Beyrouth. D’autres ont endeuillé Paris le 13 novembre. Quel regard portez-vous sur ces actes?
Il est évident que Daech, en perte de vitesse sur le terrain, élargit le champ de son action. En définitive, c’est l’islamisme radical qui est profondément entré dans les esprits et non la folie meurtrière de Daech. Les chefs de l’Etat islamique cherchent non plus une victoire impossible à atteindre, mais la création d’un mythe suicidaire qui entrerait dans la légende historique, comme cela a été le cas dans l’histoire avec Massada pour les Juifs et Kerbala pour les Chiites.
Mais d’où vient ce fanatisme islamique?
Il faut d’abord y voir le militantisme continu de la Révolution iranienne et bien sûr les déboires des dictatures arabes qui se sont posées en championnes des libertés et de la libération de la Palestine. Ces régimes se sont avérés être les pires bouchers de leurs peuples et les véritables destructeurs des espoirs palestiniens.
Le 18 novembre 2014, soit onze années après avoir réchappé d’un attentat, vous étiez à La Haye pour témoigner devant le Tribunal spécial sur le Liban. Les exécutants de cet attentat, tous quatre membres du Hezbollah, sont identifiés, pourtant ils n’ont toujours pas été inquiétés, tout comme ils n’ont pas indiqué le nom de leur commanditaire. Pourquoi la justice de votre pays protège-t-elle ceux qui ont essayé de vous assassiner? Croyez-vous encore en la justice?
Je crois à la justice internationale, qui a fait des progrès sur le dossier de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri et les dossiers connexes. Je crois également à la justice divine… Certains acteurs de ces attentats sont tombés, surtout en Syrie. En revanche, je ne crois pas à la justice de mon pays, car, à l’instar d’autres institutions libanaises, celle-ci est complètement paralysée et ne peut même pas arrêter un contrebandier s’il relève du Hezbollah. Alors, un assassin, c’est encore plus compliqué…
Comment expliquez-vous l’impuissance des dirigeants libanais à résoudre ces problèmes primordiaux de la nomination d’un président à l’enlèvement des ordures ménagères?
Nous vivons malheureusement une époque où l’escalade des tensions au Proche-Orient et la gravité des situations sont beaucoup trop sophistiquées et complexes pour être abordées, et résolues, par l’actuelle classe politique libanaise. La disproportion entre l’énormité des défis et la banalité des hommes politiques a précipité le pays dans une situation de vide. Les problèmes libanais et régionaux ont toujours été interdépendants. Mais jusqu’à aujourd’hui, un résidu de «génie» libanais a toujours permis d’aménager le système, de le réguler et de le maintenir malgré les déboires. Ce paramètre aujourd’hui fait défaut.
Comment l’expliquez-vous?
La situation a été compliquée par des égoïsmes exacerbés, frisant presque la folie chez certains hommes politiques, un populisme qui n’a jamais eu d’égal et une fanatisation de la société libanaise, qui me paraît encore plus dangereuse que celle que nous avons vécue lors de la guerre civile. La guerre froide civile que connaît le pays aujourd’hui est plus meurtrière que la guerre chaude civile que nous avons vécue auparavant. Et c’est tragique!
Certains de vos compatriotes évoquent un Liban «à l’agonie», car votre pays a subi – sauf dans le domaine culturel – une terrible régression.
Le mot «agonie» est peut-être exagéré. Le Liban serait plutôt dans une sorte de coma politique sans que son pronostic vital, en tant que territoire et en tant qu’Etat, soit engagé. Par contre, il a besoin d’une réforme plus structurelle, plus profonde, de remèdes plus efficaces pour se remettre au diapason politique et social d’un pays digne de survivre au XXIᵉ siècle.
A en croire la presse, il semble qu’un seul homme, l’ex-général Michel Aoun, paralyse les institutions libanaises. Comment cela est-il possible?
Il est vrai que nous jouons de malchance en ayant dans notre vie politique un individu aussi pervers et violent, au sens littéral du terme. Le mouvement d’Aoun est venu s’articuler sur les frustrations chrétiennes que la présidence de la République avait toujours réussi à apaiser. Cette fois-ci, un dictateur, comme a pu le caricaturer Charlie Chaplin, bloque tous les processus. C’est lui et personne d’autre, et ce qui est pire, c’est lui ou rien d’autre. Même pas de vie politique, même pas de survie économique!