Sept.info | La citadelle assiégée (8/9)

La citadelle assiégée (8/9)

Giovanni Falcone (à droite) et Francesca Morvillo (à gauche) faisaient partie du «pool» de magistrats antimafia de Palerme. Falcone devint un symbole de cette lutte, bien que certains politiques cherchaient à le décrédibiliser. Il fut, à cette époque, l'ennemi numéro un de Cosa nostra. © DR / sept.info

De tous les juges du palais de justice de Palerme, Giovanni Falcone était sans conteste le plus redouté des mafieux de la ville. A ce titre, il avait plus de raisons de mourir que tout autre magistrat. Ce n’était qu’une question de temps.

Situé piazza Vittorio Emanuele Orlando, à la limite du centre historique, le palais de justice de Palerme est un curieux amalgame de béton et de marbre dont on a pris le soin de blinder tout ce qui pouvait l'être. En cette fin du mois de mars 1984, soit près de trois ans après le début de la guerre des familles, cet immeuble, dont la forme initiale faisait penser à un bunker géant, avait plus que jamais l'air d'une citadelle assiégée. Deux plans inclinés ont été coulés sur les marches latérales du palais afin de permettre l'accès direct aux voitures blindées où s'entassent juges d'instruction et carabiniers chargés de les protéger. A l'époque, l'entrée du bâtiment était encore libre. Par la suite, on allait interdire à tout véhicule de parquer aux alentours. Dans le même esprit, les visiteurs et les justiciables allaient dorénavant devoir, une fois le seuil franchi, passer par une batterie de photocopieuses, et là, remettre un document d'identité à des carabiniers impassibles préposés à la duplication. Après quoi, on accéderait enfin à une immense salle des pas perdus où règne, tous les matins ouvrables, une activité digne d'une ruche.

Dans le hall central, les jours de semaine, entre neuf heures et treize heures, a lieu une sorte de foire à la mafia. C'est ici que se retrouvent les hommes d'honneur qui peuvent encore se montrer et leurs avocats. Les premiers se reconnaissent à leur allure bovine et à leur tenue vestimentaire, qui varie selon les sujets entre le style nouveau riche et un mauvais goût plus sicilien; leurs défenseurs sont, pour la plupart, toujours bien vêtus, lin en été, laine légère en hiver, avec une recherche plus palermitaine. Il faut voir comment ceux-ci traitent leurs affaires en plein milieu du palais de justice, où les attendent des heures durant les proches parents de mafiosi assassinés, disparus, quand ils ne sont pas emprisonnés. Les délégations des familles légales des hommes d'honneur sont généralement composées de petites vieilles tout de noir vêtues, accompagnées de petits paysans taciturnes. Dans le couloir qui encercle le hall, sur la gauche, une dizaine de jeunes gens montent la garde devant les bureaux des juges d'instruction. Ils ont en moyenne vingt-cinq ans d'âge et sont pour la plupart des carabiniers. Leur uniforme est des plus particuliers: jeans Benetton, T-shirt Cerrutti, avec, en bandoulière, un sac de cuir fin dans lequel ils dissimulent une arme de gros calibre, généralement un .357 Magnum. Au dehors, il n'est pas rare de les voir se promener un pistolet mitrailleur au poing, prêts à ouvrir le feu à la moindre menace. On les dit champions de tir instinctif. Nuit et jour, ils se relaient afin de protéger les juges d'instruction, qui, par leur courage et leur opiniâtreté, sont devenus les ennemis mortels des hommes d'honneur. L'idée de vivre avec une dizaine de ces zigs continuellement plantés derrière votre porte, que ce soit celle du cabinet d'instruction ou celle plus privée de vos toilettes, aurait de quoi vous démoraliser même si vous étiez le plus optimiste des magistrats. «En Sicile, l'Etat se résume à une poignée d'hommes assiégés, expliquait le doyen des juges d'instruction du tribunal de Palerme, le consigliere Rocco Chinnici. Il suffit de sortir de ce bunker, d'aller dans les ruelles misérables où tout le monde est racketté, de se promener au milieu de cette foule désoeuvrée et désespérée, là où un tueur à gages ne coûte que quelques lires, pour comprendre combien peut être seul celui qui lutte contre la mafia.» Chef des juges d'instruction palermitains, le consigliere Chinnici était un gros homme qui dissimulait une volonté de fer sous des allures d'ogre débonnaire. C'est sous son impulsion que les magistrats palermitains avaient pris la tête de la croisade antimafia. Son assassinat allait marquer la justice palermitaine pour de longues années.

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