- Le personnage:
Le physicien (Ettore Majorana) - Les auteurs:
Le procureur (Pierfilippo Laviani),
Le professeur (Erasmo Recami),
Les historiens (Nadia Robotti et Francesco Guerra),
Le parent (Stefano Roncoroni),
L'écrivain (Leonardo Sciascia),
Le médecin (Giovanni Forte)
Pierfilippo Laviani du Parquet de Rome est à la retraite depuis octobre 2017. Il a opté pour un café près du Tribunal du piazzale Clodio pour nous parler de son enquête. «La seule à ce jour qui ait été ouverte», précise-t-il, les yeux brillants et le regard perçant. Son phrasé est lent, percutant. Il est rompu à l’art de reconstituer les parcours, les vies, les destinées. Le cas sur lequel il s’est penché fin 2008 débute à Catane le 5 août 1906. Ettore Majorana naît dans une famille où l’on est ministre, sénateur, avocat ou encore professeur d’université. Après avoir étudié chez les jésuites à Rome, où enseigne son père diplômé en ingénierie, en physique et mathématiques, Ettore suit des cours d’ingénierie, puis est enrôlé dans l’Institut de physique de la via Panisperna dirigé par Enrico Fermi, l'un des lieux de recherche les plus prolifiques au monde dans les années 30. En 1938, à seulement 31 ans, Ettore Majorana est déjà mondialement connu pour ses travaux en physique des particules, avec notamment des applications particulières de la théorie des neutrinos, et sa situation académique s’est enfin débloquée: il est professeur de physique depuis janvier à l'Université Frédéric II de Naples où il réside, via Depertis, à l’hôtel Bologna.
C’est dans cet hôtel que, le 25 mars 1938, il laisse sur la table de sa chambre une enveloppe destinée à sa famille. Il leur a écrit: «J’ai un seul désir, que vous ne vous vêtiez pas de noir. Si vous souhaitez honorer l’usage, portez, mais guère plus de trois jours, quelque signe de deuil. Après, gardez-moi, si vous le pouvez, dans vos cœurs, et pardonnez-moi.» Le même jour, il a posté au directeur de son institut et ami Antonio Carrelli un courrier qui commence par: «Cher Carrelli, J’ai pris une décision qui était désormais inévitable (…)» Les lettres ne sont pas encore connues de leurs destinataires quand il entreprend une traversée en mer le soir même pour la Sicile, mais on comprend que le pire était à envisager. Le lendemain, pourtant, Ettore Majorana est toujours en vie. C’est sur une feuille à en-tête d’un hôtel de Palerme que cette fois il note: «Cher Carrelli (…) La mer n’a pas voulu de moi et je rentre demain à l’hôtel Bologna, en voyageant peut-être avec mon propre courrier. J’ai cependant l’intention de renoncer à l’enseignement. Ne me prends pas pour une fille d’Ibsen, parce que mon cas est différent.» Une infirmière croit le voir au début du mois d’avril près du Palais Royal de Naples, mais, officiellement, la dernière personne à lui avoir parlé reste l’une de ses étudiantes, Gilda Senatore, à qui il a confié un dossier avant de disparaître.