Sept.info | L'espion qui s'est fait passer pour un artiste
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«Le rhinocéros», sculpture d'Horst Meier alias Erwin Miserre, Leipzig 2017. © Laura Grunner

L'espion qui s'est fait passer pour un artiste

En pleine guerre froide, la Stasi, le service de renseignement de l'Allemagne de l'Est, a pu compter sur des milliers d'espions prêts à se glisser dans n'importe quel costume. La preuve avec Horst Meier, devenu Erwin Miserre. Ce vrai-faux sculpteur était chargé d'espionner l'OTAN.

Horst Meier est décédé en 2016, à l’âge de 91 ans. Pendant les dernières années de sa vie, il avait besoin de soins constants parce qu’il avait sombré dans la démence. Il est mort comme il a vécu: entouré de mystère. Personne ne le connaissait, il n’était pas célèbre, mais sa famille a souhaité que le monde découvre cet espion est-allemand qui officia à Bruxelles en se faisant passer pour un artiste, cet homme qui, sous cette couverture, découvrit sa véritable vocation. 

La guerre froide, la RDA (République démocratique allemande) et l’art, voilà le triangle de son histoire. Une histoire typiquement allemande, dont il ne reste guère de traces – services secrets obligent – et qui, comme toutes les histoires de la guerre froide, commence pendant la Seconde Guerre mondiale. Après une formation d’électricien, Meier est incorporé à la Wehrmacht (l’armée du IIIe Reich) et, en 1944, à 18 ans, envoyé sur le front de l’Est. Des décennies plus tard, il se souviendra encore de l’odeur des cadavres en décomposition. Il reste cinq ans dans un camp de prisonniers de guerre en Ukraine. Plus tard, il passe quelques mois à l’Antifa­-Zentralschule, non loin de Riga, cette école d’«antifascistes» créée par le Komintern (l’Internationale communiste) pour les prisonniers de guerre et qui a formé bon nombre des futurs hauts fonctionnaires est-allemands. De retour dans son pays, à 24 ans, Meier passe son bac, fait des études de journalisme, puis se fait embaucher par le journal Freien Wort à Suhl, une petite ville en bordure de la forêt de Thuringe. Entre-temps, il a épousé une ancienne camarade de fac, avec qui il aura quatre enfants. En tant que rédacteur chargé de la rubrique culture, il écrit notamment sur le nouvel art abstrait de l’Ouest, qu’il condamne comme on l’attend de lui. Dans des souvenirs dictés plus tard à sa fille transparaît sa bienveillance à l’égard du régime. Il voyage à plusieurs reprises en Union soviétique et dans d’autres pays du bloc de l’Est, et même en Allemagne de l’Ouest. En 1960, il divorce. Une photo le montre, cinq ans plus tard, dans sa nouvelle vie. Un ami – un ancien compagnon de détention qui a lui aussi fréquenté l’Antifa-Zentralschule – l’a introduit auprès de la Haupt­verwaltung Aufklärung (HVA, Direction centrale du renseignement). Le Service de renseignement extérieur de la Stasi (ministre de la Sécurité d’Etat) a été dirigé pendant des décennies par le mythique Markus Wolf. Au sein de la HVA, Klaus Rösler – c’est le nom de l’ami – est à la tête du département «OTAN et CE».

Sur la photographie, Meier se tient contre la cabine d’un camion. La carrosserie porte l’inscription «Ball of Toronto – Steel Drums»; le véhicule appartient manifestement à un fabricant de percussions de Toronto, au Canada. Cela fait partie de sa nouvelle légende. Le quadragénaire Meier est devenu quelqu’un autre. Son nouveau nom: Erwin Miserre. Le vrai Erwin Miserre avait quitté la RFA des années auparavant pour le Canada. Meier emménage en RFA sous l’identité de Miserre, il reprend son ancien métier d’électricien et se fait muter de Francfort à Sarre­bruck, à la frontière française. Là, il apprend le français parce qu’il est censé aller s’installer à Paris, où se trouve le quartier général de l’OTAN (Organisation du traité de l'Atlantique nord). Mais voilà que l’OTAN déménage son siège à Bruxelles. En Belgique, Meier, ou plutôt Miserre, s’initie à la sculpture aux cours du soir et entre en relation avec Olivier Strebelle, l’un des plus célèbres sculpteurs du pays. En 2016, lorsque nous l'avons rencontré, Strebelle, alors âgé de 90 ans, se souvenait bien de l’Allemand. Un beau jour, à la fin des années 1960, il était apparu et avait demandé à être son assistant. Les pièces imposantes de Strebelle sont généralement des bronzes. Certaines ressemblent à des puzzles en trois dimensions; cela requérait une grande habileté manuelle. Miserre en avait à revendre. Il passa les huit années suivantes à travailler pour Strebelle. L'artiste (décédé en juillet 2017, ndlr) avait évoqué le chapeau démodé qu’aimait porter l’Allemand: il faisait presque médiéval. On surnommait souvent Miserre «Erwin Mystère», tant il en disait peu sur lui-même. Son français était bon; il conservait un accent allemand, mais on ignorait qu’il était originaire d’Allemagne de l’Est. D’après Strebelle, l’un de ses amis lui aurait confié à l’époque que quelque chose clochait chez cet Allemand, que c’était certainement un espion. 

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