Sept.info | La révolution des femmes mineurs est en marche au Congo
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Deux fois par jour, les mamas kasomba (les transporteuses) remontent des carrières de Kamituga jusqu'à 25 kilos de pierres de quartz sur leur dos par des sentiers glissants. Pour chaque charge apportée au site de concassage, elles reçoivent 1,50 franc.© Ines Della Valle

La révolution des femmes mineurs est en marche au Congo

Guerres, «minéraux de sang», maladies et violences sexuelles. Telle est l’image que le public se fait généralement de la République du Congo (RDC). Or, dans cette région qui regorge de ressources, des femmes mènent une révolution qui modifie non seulement l’image de leur pays, mais également le secteur des mines artisanales. Un récit nominé au True Story Award 2019.

Ce matin-là d'automne 2018, Christine Tullia est l’une des premières. Elle a insisté. Encore et encore. Mais personne ne lui a donné de travail. Qu’allait-elle dire à ses enfants? Même s’ils ne se plaignent plus des rations toujours plus maigres de nourriture, leurs corps osseux trahissent la faim. Et son mari dont l’état empire chaque jour parce qu’il a dû interrompre son traitement médical? En proie aux idées noires, elle a décidé d’attendre, espérant un miracle. Après plusieurs heures, un homme s’est agenouillé à ses côtés, comme pour la consoler. Mais quand il lui a demandé d’une voix douce s’il pouvait faire quoi que ce soit pour elle, même une personne aussi simple d’esprit qu’elle a immédiatement compris la nature de sa proposition... Jamais Christine n’aurait imaginé y avoir recours. Jusqu’à ce jour. En racontant son histoire, des années plus tard, la cinquantenaire au visage grave élude volontairement certains détails pour se concentrer sur le moment où, tête baissée, son corps à peine recouvert par un vêtement déchiré, elle a quitté la mine avec 5’000 francs congolais (3 francs suisses) en poche. «En regardant mes enfants manger ce que je leur avais préparé ce soir-là avec cet argent, j’ai eu l’impression qu’ils mangeaient mes péchés, murmure-t-elle afin que personne d’autre ne l’entende. Je n’ai plus jamais laissé quelqu’un me traiter ainsi.»

Ce petit bout de femme robuste est une «mama twangaise» ainsi que les appellent les Congolais, du verbe kutwanga, concasser ou piler en swahili. Du matin au soir, depuis plus de 15 ans, elle broie des cailloux de quartz avec de lourdes masses en bois jusqu’à obtenir une fine poudre dont est extrait l’or. A l’instar des femmes issues des classes sociales les plus modestes du pays, sa vie n’a pas été un long fleuve tranquille. Elle n’était encore qu’une toute jeune fille quand son père l’a promise à un homme de trente ans son aîné. «On ne s’était jamais rencontré, il n’y a pas eu de fiançailles, se remémore-t-elle. On m’a emmenée chez mon futur mari comme on emmène une vache à l’abattoir.» En 1998, alors que Christine commence à peine à s’adapter à cette nouvelle vie de couple, éclate la deuxième guerre du Congo, connue aussi sous le nom de «Grande guerre africaine» en raison du nombre élevé de pays – neuf – et de groupes armés – plus d’une trentaine – impliqués. Un conflit qui a duré plus de quatre ans et engendré quantité de viols et de massacres. Des hostilités qui ont provoqué entre 200’000 et 4,5 millions de morts et poussé à l’exil des millions d’autres comme Christine, forcée de quitter son village par les milices armées. Avec sa famille, celle qui est déjà plusieurs fois mère rejoint une centaine de milliers de réfugiés à Kamituga, ville située sur l’une des principales réserves d’or du Sud-Kivu. En 2000, son vieux mari meurt d’une crise cardiaque et, à 31 ans, elle doit assurer, seule, la survie de ses 13 enfants. Sans le sou, elle ne peut louer un lopin de terre, encore moins attendre des mois les fruits d’une éventuelle récolte. Ne lui restent que les mines artisanales, comme 500’000 autres femmes qui s’y éreintent à travers tout le pays. 

Si les hommes n’ont pas la tâche facile - ils n’ont aucune garantie de sortir vivant des sombres galeries non sécurisées où se trouve l'or en quantité -, les femmes, elles, remplacent les machines en usage dans les exploitations industrielles: elles transportent, lavent, trient et ramassent les pierres. Le travail effectué par Christine et les autres mamas twangaises est de loin le plus pénible et le moins considéré. Socialement, les concasseuses sont tout en bas l’échelle. «Les premiers jours étaient horribles, mes mains étaient couvertes de blessures. Le propriétaire des pierres se moquait de moi et me frappait régulièrement. Il hurlait que j’étais trop lente, que ce boulot n’était pas fait pour moi», braille Christine, toujours en colère, assise sur le sol du lutra (sorte de cahute étouffante et poussiéreuse dans laquelle travaillent les mamas twangaises), afin de couvrir le bruit des pilons. Entourée d’une douzaine d’ouvrières sous l’oeil injecté de sang de quelques gardes, elle n’arrête jamais ses mouvements éreintants, même pour nous parler, levant et baissant les bras au rythme d’un métronome. «Cette tâche humiliante est sans doute la forme de discrimination la plus évidente à notre égard, aboie, les sourcils froncés, l’une de ses jeunes collègues au corps tonique et aux doigts déjà calleux. Les hommes ne se saliraient jamais les pattes en pilant des pierres. C'est comme à la maison avec le ménage: ils préfèrent s’affaler sur le canapé avec un air mi-sarcastique mi-heureux, plutôt que de nous aider.» Les journées passées dans le lutra se sont transformées en semaines, les semaines en mois, en années. Sans autre choix, Christine a appris à supporter la dureté de son labeur; moins les risques qu’il comporte, sur lesquels elle n’a aucune emprise. «De nombreuses amies et collègues ont été hospitalisées, certaines sont mortes, confesse-t-elle enveloppée d’un nuage de poussière de quartz. J’ai mal à la poitrine. Il faudrait que je quitte cet endroit, mais pour faire quoi?» La plupart des mamas twangaises souffrent de problèmes pulmonaires liés à l’exposition prolongée aux fines particules minérales toxiques, telle la silice libérée lors des opérations de broyage du quartz, qui pénètrent en profondeur et endommagent le tissu pulmonaire.

Quand on lui donne du travail - ce qui n’est pas toujours le cas -, Christine n’est payée que si elle trouve de l’or. Un «bon» jour, elle peut gagner trois francs suisses; un «mauvais», seulement 60 centimes. «On a toutes été obligées de voler à un moment ou à un autre pour nourrir nos enfants, et on ne devrait pas avoir honte de le dire, crie suffisamment fort l’énergique concasseuse malgré son âge afin d’être entendue par le contremaître et les jeunes mamas twangaises. Souvent, les hommes refusent de nous payer pour notre travail, alors qu’ils savent que nos familles dépendent entièrement de nous. Et notre société laisse faire. Même si on ne vole pas, les hommes nous palpent les seins, enfoncent leurs doigts dans nos parties intimes et pire encore… sous prétexte de nous fouiller.» Avec d’autres femmes fatiguées de ces abus psychologiques et physiques répétés, Christine a décidé de dénoncer les mauvais traitements qu’elles subissent quasi quotidiennement et, en souvenir de cette funeste journée d’il y a 15 ans, a fait sien le combat contre le sexe transactionnel et la prostitution forcée dans le secteur minier. Des initiatives pour la défense des droits des femmes qui ont pu voir le jour grâce au travail d’une pionnière originaire de Kamituga, Emilienne Intongwa.

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