Née en 1934 à Neuchâtel, Monique Jacot a toujours privilégié les chemins de traverse. Dès sa formation, elle s'échappe régulièrement du carcan de la photographie de studio techniquement parfaite qu'on lui enseigne à l'Ecole des arts et métiers de Vevey. Les exercices interminables avec des verres, des œufs, des fourchettes et autres objets l'ennuient. Elle préfère les incursions dans la nature et la ville, rapporter des images où il n’est pas question de mises en scène sophistiquées, mais de petites observations de la vie quotidienne, de rencontres fortuites, de scènes surprenantes et de découvertes. A peine son diplôme en poche en 1956, la jeune photographe commence à gagner sa vie en réalisant des reportages. La conjoncture est favorable au photojournalisme. Monique Jacot parvient rapidement à placer des photographies dans Die Woche ou Annabelle, puis dans des magazines internationaux comme Vogue, Elle ou Geo.
Mais avec le succès, son scepticisme grandit. Elle refuse de fournir les illustrations attendues sur les sempiternels «thèmes féminins» comme les enfants et la famille. Au lieu de cela, elle développe ses propres récits sur la rebelle Niki de Saint Phalle, sur de jeunes gymnastes artistiques dans le climat politique tendu de Prague, sur l'éducation et la formation de jeunes filles dans l'internat anglais fermé de Wycombe Abbey. Curieuse, ouverte au monde, elle élargit son rayon d'action, parcourt l'Europe et les Etats-Unis à la recherche de sujets qui tournent généralement autour de questions de société. Sa rencontre avec les designers Charles et Ray Eames en Californie est un événement clé: elle découvre le style de vie fascinant d'un couple émancipé.
Dès 1960, Monique Jacot est saluée comme un «nouveau type de reporter d'images» par le magazine suisse spécialisé Camera. Mais alors qu'elle se fait un nom grâce à son langage visuel subjectif, sa situation personnelle se fait plus difficile. Après avoir divorcé du photojournaliste Yvan Dalain, elle accumule les tâches et les heures de labeur. En tant que mère célibataire, elle emmène parfois ses deux jeunes enfants en reportage et ne peut souvent travailler dans la chambre noire que lorsque ceux-ci sont endormis. De plus, la presse écrite est sous pression. D'importantes plateformes pour la photographie disparaissent, la marge de manœuvre des photojournalistes indépendants se réduit. Monique Jacot se libère de l'emprise des médias en produisant des clichés qu'elle peut exposer et parfois même vendre. Outre des images individuelles issues de reportages, elle présente également des séries entières qui se distinguent clairement du journalisme. Ses «Paysages intérieurs», par exemple, traitent d'espaces vides, de mondes intérieurs mélancoliques dans lesquels le temps s'est arrêté. Exposées en 1980 par la Fondation suisse pour la photographie au Kunsthaus de Zurich, ces œuvres à l'aspect surréaliste font également l'objet, quelques années plus tard, d’une publication dans le magazine zurichois Du consacré au Printemps inespéré de la «photographie artistique» en Suisse, selon la formule de l’historien de l’art et conservateur Guido Magnaguagno. Ce numéro présente douze photographes qui ont tourné le dos au reportage classique, dont Manon et Monique Jacot, les seules femmes.
Malgré ce renouveau, Monique reste longtemps fidèle à l'approche documentaire. En lieu et place d’articles de magazines, elle préfère mettre l'accent sur des créations originales à long terme. Elle voyage aux quatre coins de la planète et subvient à ses besoins en réalisant des travaux de commande pour l'Organisation mondiale de la santé. A partir du milieu des années 1980, elle développe son grand projet «Femmes de la terre». Elle gagne la confiance de 24 paysannes, se joint à elles et participe à leur vie: «Je voulais trouver une forme qui ne soit pas doucereuse et qui ne ressemble pas à un journal agricole ou à une glorification de la terre (...) Je voulais être très précise, comme dans un documentaire.» Les résultats sont discutés avec chaque famille d'agriculteurs, le point de vue des personnes concernées est pris en compte. Le livre Femmes de la terre / Frauen auf dem Land (1989) devient non seulement le portrait d'un groupe social rarement mis en avant par la photographie, mais aussi un recueil unique d'histoires sur la paysannerie suisse.
Dans
les années 1990, elle s'attaque à l'essai photographique à grande
échelle. Son sujet: les conditions éprouvantes des ouvrières
travaillant à la chaîne. Contrairement au monde paysan, elle doit
surmonter de nombreux obstacles pour pénétrer dans une trentaine de
sites de production suisses. Ses portraits, soutenus par des images
saisissantes de mains fatiguées ou de processus monotones, mettent
en lumière le quotidien dans les usines. Les ouvrières n'ont
cependant guère l'occasion de partager leurs soucis et leurs
difficultés avec la photographe. Comme il leur est interdit de
parler de leurs conditions de travail, il manque au final à Monique
Jacot un niveau essentiel pour réaliser un nouveau livre, si bien
qu'elle se contente de montrer ses photos dans une exposition,
«Cadences
– L'usine au féminin / Fabrikarbeiterinnen – Leben im Akkord».