Poussé par les mouvements qui brassent l’air autour de l’enveloppe de nylon, mon ballon glisse dans le silence de la nuit claire. Accoudé à ma nacelle, l’œil dans le viseur de mon appareil, je m’empare du monde qui sommeille à mes pieds. Des milliers de traits de lumière dévoilent les compositions géométriques inédites de nos villages, nos villes, nos routes, nos usines… Pas besoin de carte ni de GPS. Même quand les nuages recouvrent le plateau suisse, je sais où je me trouve. Les phares des camions et des voitures qui, sans cesse, dessinent les courbes de nos autoroutes, de nos routes, de nos ponts m’aident à me repérer. C’est fou ce que la nuit est animée. La vie ne s’arrête plus au coucher du soleil, et c’est dans cette obscure nitescence qu’on voit le mieux l’impact de la frénésie humaine depuis le ciel. Qu’on prend la mesure de son empreinte sur une nature totalement modelée, modifiée, morcelée, découpée… Car, quand je lève les yeux vers le ciel nocturne, en revanche, il n’y a rien. Que l’infini de l’univers, la lune parfois, des myriades de points lumineux surtout qui scintillent. De 23 heures à 5 heures, pendant que les avions sommeillent sur les tarmacs des aéroports, je photographie les lieux, les bâtiments, les voies, les monuments, les lacs, les montagnes, les collines. Je documente ces quelques heures de solitude absolue. Rares. Calmes. Egoïstes. C’est à ce moment précis que je sens le monde. Que je le hume, le respire. Il y a les odeurs âcres, piquantes et changeantes des villes. Celles, plus douces, plus humides des champs et des forêts. Définitivement, je préfère voler de nuit, comme Saint-Exupéry.
Jusqu'au bout de la nuit
© Laurent Sciboz
Zurich, septembre 2007, 1.34
J’aime les vols de nuit. Sous la nacelle de mon ballon défile la Suisse. En silence. Quel silence…
Laurent Sciboz