Les maladies tuent plus de moutons que le loup

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Un patou gardant un troupeau.

Le loup ne représente pas la cause principale de mortalité chez les moutons. Selon une étude nationale, il s'agirait plutôt des maladies et des accidents. Une solution: mieux surveiller les bêtes. Seulement voilà, s’attaquer au vrai problème coûte cher.

Les grands prédateurs ne seraient pas les dévoreurs avides de moutons qu’on a bien voulu laisser entendre… Selon la Protection Suisse des Animaux (PSA), le loup, le lynx et l’ours, dans leur ensemble, tuent au maximum 300 moutons par année. Si 200 attaques sont attribuées au loup, reste que 4’000 bêtes meurent chaque année sur les 230’000 têtes qui pâturent l’été sur les alpages suisses. La faute à qui? Essentiellement aux chutes dans les rochers, à la foudre, au manque d’eau ou de nourriture, au froid et aux maladies, selon une étude sur l’estivage des moutons, SchafAlp, de Pro Natura, du WWF, d’Agridea et de la Fédération suisse de l’élevage ovin publiée en 2012.

Ces décès pourraient toutefois être sensiblement diminués par une meilleure surveillance des troupeaux et une stratégie d’élevage et de santé conséquente. «Des contrôles de santé devraient être effectués avant l’estivage. C’est rarement le cas, car la loi n’oblige pas les éleveurs à le faire», explique Sara Wehrli, spécialiste des animaux sauvages à la Protection Suisse des Animaux (PSA). Pis, dans une grande majorité des cas, les moutons ne sont pas surveillés par un berger. «Le grand problème, c’est que les bêtes sont livrées à elles-mêmes sur les alpages et récupérées à la fin de l’estivage. Pendant cette période de trois mois, il peut leur arriver n’importe quoi», relève Nicolas Wüthrich, porte-parole romand de Pro Natura.

Des trois systèmes de pâture existants (lire encadré), celui qui consiste à laisser les animaux de rente seuls sur l’alpage reste en effet le plus populaire, malgré les efforts de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) pour inciter les éleveurs à lui préférer celui des moutons surveillés par un berger ou les pâturages tournants. «Nous favorisons ces deux dernières options car il s’agit d’agriculture durable. Afin d’encourager les bergers à les choisir, nous augmentons régulièrement les subventions», résume Denis Morand, collaborateur scientifique à l’OFAG. Pourquoi alors ne pas tout simplement interdire le troisième système? «Parce qu’il est traditionnel. Il y aurait une résistance politique».

Si les moutons sans surveillance sont effectivement les premiers à être attaqués, les grands prédateurs ne représentent cependant qu’un danger mineur, ainsi que le confirme Denis Morand: «Le loup est une cause négligeable de mortalité, mais c’est un sujet tellement émotionnel». Sous la Coupole à Berne, la tête du loup a été mise à prix depuis longtemps. Par des parlementaires valaisans notamment. Depuis 1999, une quinzaine de motions ont été déposées visant à abroger ou à assouplir le statut de protection du loup, espèce «strictement protégée» en vertu de la Convention de Berne. Derniers épisodes en date en 2014: la motion de René Imoberdorf (PDC/VS), déposée en septembre, proposant d’inscrire le loup sur la liste des espèces pouvant être chassées toute l’année et la suspension, pour le moins abrupte, du plan loup fin décembre 2014, une mesure visant à adapter l’ordonnance fédérale sur la chasse afin de faciliter le tir de jeunes loups vivant en meute s’ils s’approchent d’agglomérations.

«Cette décision de suspendre le plan loup nous a surpris. Actuellement, il n’y a qu’une seule meute en Suisse. On associe les meutes à la multiplication des problèmes, alors que ce n’est pas le cas. Les loups, lorsqu’ils sont en meute, s’autorégulent et restent sur un territoire», réagit Nicolas Wüthrich. En mars 2014, le Parlement a également donné son feu vert à une autre motion, celle du Grison Stefan Engler (PDC/GR), qui propose d’abattre le loup en cas d’importants dommages aux animaux de rente, de pertes sévères dans les contingents pour les chasseurs ou de menace considérable pour l’être humain. Cette décision s’inscrit dans un mouvement général d’assouplissement de la loi sur la chasse et, par conséquent, de la protection du loup.

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Les moutons sans surveillance sont les premiers à être attaqués. © AGRIDEA

Simultanément, le Conseil d’Etat valaisan est intervenu auprès des autorités fédérales pour qu’une suite soit donnée à la motion «Fournier», exigeant que la Suisse se retire de la Convention de Berne si on lui refusait une plus grande liberté dans sa gestion des loups. En outre, le Grand Conseil a voté une résolution demandant le tir du loup dans le cas du loup d’Eischoll, qui a tué un mouton en octobre 2014 dans le Haut-Valais. Le Valais a donc juré d’avoir la peau de la bête. Ce qui s’explique aisément par le fait que la majorité des cas d’animaux de rente tués par le prédateur l’ont été dans ce canton, selon KORA, l’institution responsable du monitoring du loup (en Valais, le premier loup est arrivé en 1995 par le Val Ferret. Dans la vallée de Conches, sa première apparition date de 1998, ndlr). Mais cette haine immodérée du loup, qui renvoie à une imagerie du Moyen-Age dans ses heures sombres ou aux contes des frères Grimm, interpelle.

Du côté du gouvernement valaisan, on réfute toute réaction épidermique face à l’animal. «Il n’y a pas de malaise valaisan autour du loup. Nous sommes confrontés à une réalité que les autres cantons ne connaissent pas, à savoir que le Valais est la porte d’entrée du loup en Suisse, justifie Laurent Bagnoud, secrétaire général et responsable de la communication au Département valaisan de l’environnement (DTEE). Le loup cause d’énormes dégâts et je ne comprends pas qu’il y ait un tel respect pour le loup et pas pour le mouton».

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Faire garder les troupeaux par des patous ou chiens de montagne des Pyrénées revient très cher. © AGRIDEA

Qu’a-t-il été entrepris pour protéger les troupeaux? «Nous comptons dans notre canton près de 550 alpages et quelque 55’000 moutons. Ces alpages sont souvent de petite taille, difficiles d’accès, avec parfois quelques dizaines d’ovins seulement. Cela est dû à la topographie de notre canton, à sa grande étendue dans les montagnes, rétorque Jacques Melly, conseiller d’Etat valaisan en charge du Département de l’environnement. Vouloir protéger ces 550 alpages relève de l’utopie même si nous avons effectivement encore des progrès à faire dans ce domaine. Il n’est économiquement et humainement pas possible d’engager des bergers à plein temps et des patous (chiens de montagne des Pyrénées, ndlr) pour chaque troupeau. Mais, voir, année après année, des centaines de moutons mutilés ou tués est consternant».

La peur est grande dans le canton alpin de voir la situation évoluer comme en France. «Le nombre de moutons tués par le loup explose en France. Les derniers chiffres officiels font état d’environ 5’000 victimes du loup en 2011. Selon une source fiable mais non officielle, les 6’000 cas auraient été dépassés en 2012», énumère Laurent Bagnoud. En Valais, où les loups ont tué 120 moutons en 2014, selon le Conseil d’Etat valaisan, on concède toutefois au carnassier qu’il n’est pas seul en cause. Pour l’Association des éleveurs ovins et caprins du Valais romand (AEOC), les randonneurs sont aussi à blâmer. «Les éleveurs font des efforts pour protéger les moutons: ils prennent des chiens de protection, mais ce sont alors les touristes qui se plaignent, affirme Jean-Blaise Fellay, secrétaire de l’AEOC. Les patous sont très bien, ils font leur boulot. Trop bien peut-être car ils aboient aussi contre les randonneurs. Ces derniers portent plainte ensuite contre les éleveurs. Dans certains cas, c’est allé très loin. Des randonneurs ont pris des avocats». Pour cause de morsures? «Il est rare que les patous mordent. Les gens, et leurs chiens, ont simplement très peur, poursuit-il. Certains éleveurs se voient alors obligés de cacher leurs chiens».

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Les patous font peur aux touristes qui n’hésitent pas à porter plainte contre les éleveurs. © AGRIDEA

Sans la surveillance de l’homme, le patou a en effet tendance à redevenir sauvage. L’idéal serait donc la présence d’un berger en plus de celle des chiens de protection. «Pour des raisons économiques, ce n’est souvent pas possible. Ce n’est qu’à partir d’une moyenne de 300 brebis qu’un berger est payé correctement (soit entre 80 et 150 francs par jour en fonction de son expérience et de la grandeur du troupeau, ndlr) et que son exploitation devient rentable », indique Jean-Blaise Fellay. Et comme les petits troupeaux sont nombreux, surtout dans le Haut-Valais, on comprend l’étendue du problème. Une analyse menée par le Service cantonal de l’agriculture doit encore déterminer la possibilité de rassembler les petits troupeaux dans le cadre de discussions avec les éleveurs sur les mesures de protection.

«Outre le rassemblement des troupeaux, ces mesures de protection comprennent des clôtures, électrifiées ou non, des chiens de protection et des bergers, précise Christine Cavalera, collaboratrice agroscientifique au Service cantonal de l’agriculture. Nous avons mis la priorité sur la vallée de Conches et le Val-d’Illiez». Car, selon leurs informations, des meutes de loups se reformeraient en France voisine.

Autre canton, autres mœurs. A Fribourg, on a décidé d’encourager les bergers à prendre des chiens d’alpage pour protéger leurs troupeaux. Ainsi, dès 2015, l’Etat ne verse les indemnités pour des attaques de loup que si les mesures de protection sont appliquées. «Nous avons constaté que la moitié des cas de moutons attaqués par un loup se concentre sur la première semaine d’octobre, quand les bergers ne sont plus là. Ils redescendent en effet en plaine avant le 30 septembre», justifie Samuel Russier, secrétaire général de la direction des institutions de l’agriculture et des forêts du canton de Fribourg. Est-ce à dire que ces indemnitésde 150 à 1’200 francs selon l’âge et le type de mouton, étaient trop élevées pour inciter les bergers à changer leurs méthodes? «Nous ne connaissons personne qui jouerait à ce genre de jeu. Les éleveurs sont attachés à leurs bêtes, et ce n’est pas un beau spectacle que de voir un mouton dévoré par un loup», assure Samuel Russier.