Etait-ce un génocide? «Pas du tout! rétorque Hinrich Schneider-Waterberg. La puissance coloniale allemande n’avait pas le projet d’exterminer le peuple herero.» Le vieil homme est assis sous la véranda de sa ferme, dans le nord de la Namibie, et contemple l’imposant massif rocheux qui a donné son nom à sa famille: le Waterberg, «la montagne de l’eau». Les parois à pic rougeoient dans la lumière du matin. A leur pied, des plaines à perte de vue. «C’est une terre marquée par l’histoire. C’est ici qu’en 1904 a commencé ce qui a prétendument débouché sur un génocide», explique Schneider-Waterberg en se rendant, appuyé sur une canne, dans sa bibliothèque. Aux murs, une trentaine de vieilles cartes du pays, partout des piles de papiers, des documents, des livres d’histoire – rien que sa collection concernant la Namibie comporte plus d’un millier d’ouvrages. C’est ici qu'il s’est plongé dans l’histoire de son pays, c’est ici que se trouvent les sources de son livre controversé Der Wahrheit eine Gasse, une tentative de réfuter la thèse d’un génocide allemand.
Ancien agriculteur, longtemps homme politique et historien à ses heures perdues, Hinrich Schneider-Waterberg est un sympathique monsieur de 84 ans. Le crépuscule de sa vie, il le passe dans sa ferme au nom sonore d’Okosongomingo, «le lieu du jeune troupeau» dans la langue des Hereros. Il a consacré deux décennies à corriger ce qu’il considère comme une manière tendancieuse et fausse d’écrire l’histoire de la guerre de 1904-1907 contre les Hereros, mais il a parfois le sentiment de combattre des moulins à vent. «Il règne un monopole de l’interprétation faite par les historiens progressistes, dit-il. Leur version a même envahi les manuels scolaires.»
Voici, en bref, à quoi ressemble cette version proposée aujourd’hui aux écoliers allemands: au début de 1904, les Hereros se soulèvent contre le régime colonial allemand dans l’actuelle Namibie. En août, après avoir encerclé les insurgés au pied du Waterberg, les troupes allemandes les repoussent vers le territoire désertique d’Omaheke et les bouclent sur un vaste périmètre. Plus possible d’en sortir: des milliers et des milliers de Hereros meurent de faim et de soif. Dans un message de l’état-major à Berlin, qui coordonnait la campagne, on lit: «L’Omaheke, où l’on ne peut trouver d’eau, devrait achever ce que les armes allemandes ont commencé: l’anéantissement du peuple herero.» Soixante mille personnes auraient péri; certaines estimations montent jusqu’à 80’000. Le nombre exact des victimes n’est certes pas établi, mais, selon l’historien de la colonisation Jürgen Zimmerer, l’attitude de l’armée allemande peut, elle, être qualifiée sans hésitation de génocidaire. Il s’appuie sur une proclamation du 2 octobre 1904, dans laquelle le général Lothar von Trotha, commandant en chef des troupes coloniales, décrétait: «A l’intérieur des frontières allemandes, tout Herero, armé ou non, accompagné de bétail ou non, sera abattu, je ne recueille plus de femmes ni d’enfants, refoulez-les vers leur peuple ou faites-leur tirer dessus.» Zimmerer voit là un «ordre d’anéantissement».
Un officier des troupes coloniales décrit les souffrances des victimes avec des mots sans appel: «Le râle des mourants et les cris enragés de ceux qui devenaient fous [...] se perdaient dans l’immensité.» Ces événements effroyables trouvent un écho jusqu’à aujourd’hui. Après la résolution du Bundestag sur le génocide arménien, le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré que l’Allemagne devrait d’abord rendre compte de l’extermination de plus de 100’000 Hereros dans le Sud-Ouest africain allemand (ancien nom de la Namibie lors de la période coloniale de 1885-1915).