Par un après-midi étouffant de 2009, une voiture s’arrête au bout d’une rue poussiéreuse de Monrovia, la capitale du Liberia. Des gardes armés de kalachnikovs ouvrent les grilles d’une grande propriété et le véhicule s’avance dans l’allée, déclenchant une chorale d’aboiements – ceux des molosses enfermés dans une grande cage à l’intérieur de la propriété. Un Nigérian bien bâti du nom de Chigbo Umeh descend de voiture en compagnie de deux Colombiens, tous deux membres d’un cartel de la drogue. Les trois hommes sont conduits dans un salon élégamment décoré, où attend l’un des membres les plus puissants du gouvernement libérien.
L’hôte est Fombah Teh Sirleaf, beau-fils de la présidente du Liberia et directeur de l’Agence nationale de sécurité du pays. Après que Sirleaf a salué les visiteurs, les hommes s’asseyent pour parler affaires. Chigbo, vêtu de jeans et d’un T-shirt qui met en valeur ses biceps, débute la conversation par quelques mots résumant sa vision des choses: «Dans cette vie, dit-il en souriant, il faut gagner un peu d’argent». Il expose alors la proposition du cartel: Sirleaf sera généreusement rétribué en échange de son aide pour l’utilisation du Liberia comme plaque tournante du transit de la cocaïne colombienne vers l’Europe. Les trafiquants achemineront la drogue vers l’Afrique de l’Ouest par air et par mer; de là, ils l’enverront vers les villes d’Europe occidentale, où la drogue peut atteindre 34'000 dollars (soit 34'220 francs) le kilo.