Le début du tournoi est imminent. Plusieurs centaines de joueurs se sont rassemblés sur la grande route qui traverse le village de Shoukhouti. Peu après 17 heures ce 20 avril 2014, le prêtre du village, le Père Saba, reconnaissable à sa longue robe noire et à sa barbe blanche, se fraye un chemin à travers la foule pour donner le coup d’envoi. Dans ses mains, un ballon en cuir, rempli de 16 kilos de sable. Dès la balle lancée, la mêlée géante se met en branle. Elle avance tantôt imperceptiblement, tantôt par brusques à-coups, charriant avec elle un épais nuage de poussière.
Shoukhouti, c’est officiellement 252 familles dans la partie haute et 440 dans la partie basse, une église orthodoxe, un centre culturel soviétique en ruine, une école et trois cimetières. Situé dans la partie occidentale de la petite république caucasienne de Géorgie, le village est le dernier du pays où est encore pratiqué le sport traditionnel appelé le lélo. En géorgien, ce mot signifie simplement essai. Il est depuis devenu le surnom officiel de la sélection nationale de rugby. Difficile pourtant de le définir: sport sans club et sans fédération, le lélo est avant tout un jeu d’une rare intensité et une tradition aux lointaines origines. Le tournoi a lieu chaque année le jour de la Pâques orthodoxe, principale fête religieuse de ce pays qui compte 84% de chrétiens orthodoxes. Les règles sont simples: dans un immense corps à corps, les habitants du haut du village s’opposent à ceux du bas.