«Madame, l’atome n’est pas un sujet pour mère de famille! C’est un sujet, heu (pause délicate pour ménager mon éventuelle susceptibilité de sous-développée scientifique), d’une grande complexité.» Esther Peter-Davis écrit comme elle parle, avec économie et passion, à l’image de ces lignes extraites des rares pages du journal qu’elle a réussi à conserver chez elle. Le reste lui a été saisi, sous De Gaulle. Dans son appartement strasbourgeois caressé par la lumière d’automne, où les livres tiennent autant de place que les plantes, celle qui fut la première militante antinucléaire française, et certainement l’une de celles dont le combat a été le plus significatif en Europe, m’accueille décidée et… intimidée à la fois. Car bien qu'elle s'exprime avec aisance depuis les années 50 devant des parterres majoritairement masculins, Esther Peter-Davis ne s’est jamais livrée à l’exercice du témoignage intime. Dotée d’un esprit d’escalier parfois déroutant, elle commence par me parler de l’Alsace et de son enfance.
Petite fille, déjà, elle cherche à repousser les limites de sa liberté en faisant souvent l’école buissonnière, se cachant dans les églises du quartier jusqu’à ce que sonne la fin des classes. Seule fille d’une fratrie de deux enfants, elle grandit dans une famille où il est d’usage, pour ses grands-parents comme pour sa mère, de laisser sur le rebord de la fenêtre de quoi manger pour ceux qui ont faim. Entre exploration et empathie, son caractère se forge. «Ma mère a été très compréhensive, car ce n’est pas à 18 ans que j’ai commencé à m’émanciper. Mais à quatre ans déjà, énonce l’activiste née en 1932 de sa voix claire et profonde. J’étais dévorée d’une telle curiosité que ma mère a dû en faire des cauchemars.»