Le restaurant est vide, les chaises abandonnées et les assiettes, orphelines de couverts, sont encore sagement drapées dans leur serviette blanche en coton. Dehors, le vent des steppes de décembre souffle à rendre jaloux un sirocco. Si la chapka prémunit les lobes du gel, les poils de nez eux se figent en stalactites. Au fond de la première salle de cette immense pizzeria du centre-ville d’Astana, un septuagénaire couperosé attend les bras croisés, le sourire chafouin. Avec ses yeux bleus en amande, son menton carré et ses pommettes rebondies, il fleure bon le haut gradé retraité du SMERSH, le service d’espionnage soviétique rassemblant les ennemis de 007 dans Bons baisers de Russie. A ses côtés, l’attaché de presse anglais mandaté par le gouvernement kazakh pour cornaquer la conversation dégage un air plus rassurant. Nous nous asseyons, l’atmosphère est aussi glaciale qu’un hiver russe. Une heure plus tard, le responsable du programme nucléaire du Kazakhstan, ancienne sommité scientifique de l’URSS, est souriant et tactile. Il explique avec application, accepte la contradiction. Irrité par une question sur les déchets nucléaires, il sort un calepin d’une mallette en cuir, probablement achetée sous l’ère Brejnev. Il se met à crayonner. Les traits sont gras. Sûr de son argument, il explique son plan: recycler les déchets de chaque centrale pour en alimenter une autre en énergie. Le nucléaire autosuffisant et complètement propre serait donc possible? Sept ans après cette rencontre, l’avancée des travaux kazakhs dans ce domaine reste un mystère digne de James Bond.
Rebondissement. Comme une grosse ficelle scénaristique d’un blockbuster hollywoodien, c’est l’ancien adversaire de la Guerre froide, les Etats-Unis, qui à son tour fomente la révolution du nouveau nucléaire «vert». Lundi 24 août 2015, Las Vegas. Le président Barack Obama vante les principes du libre marché pour justifier la promotion des énergies alternatives aux combustibles fossiles. Son plan pour une énergie propre a été présenté trois semaines plus tôt. Pour le quidam américain comme pour les financiers de Wall Street, la lutte contre le changement climatique passe essentiellement par le solaire et l’éolien. Beaucoup moins par le nucléaire, victime de son coût, de sa lourdeur technologique et bien sûr des drames qui lui sont associés: Tchernobyl, Three Mile Island, Fukushima et dans une moindre mesure Lucens en 1969. D’ailleurs, seuls 61 centrales et 99 réacteurs sont en activité chez l’Oncle Sam et ne produisent que 19% du courant national.