Aux Etats-Unis, le nucléaire se privatise en cette année 2015. Scott Nolan, partenaire de Founders Fund qui soutient Transatomic, compte bien en tirer profit: «Oui, c’est vrai, on finance aujourd’hui des projets que le gouvernement aurait pris en charge il y a cinquante ans». Miser beaucoup maintenant pour gagner beaucoup plus, peut-être, après-demain. Vu d’Europe où l’atome reste une affaire d’Etat, compte tenu de ses enjeux stratégiques, le constat est inquiétant. «On rêvait de voitures volantes, on a eu 140 caractères», répètent les idéalistes déçus de la Silicon Valley, prêts à courir le risque du nouvel atome. 140 caractères, c’est la taille maximale d’un tweet. En gros, ces investisseurs attendent des nouvelles technologies un peu plus que l’opportunité de juste poster son humeur du jour sur les réseaux sociaux. Ils ambitionnent de les voir changer le monde.
Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, a injecté près de 20 millions de francs suisses dans la compagnie canadienne General Fusion. La start-up LPP Fusion a récolté pour sa part plusieurs centaines de milliers de francs grâce au crowdfunding. Mais une centrale coûte terriblement plus cher qu’une application mobile et c’est là que l’Etat devrait intervenir. Il y a cinquante ans, Washington et les autres capitales n’étaient pas très regardantes sur les coûts du nucléaire. «Les programmes ont toujours été développés grâce à l’appui financier des Etats, analyse Marcos Buser, grand spécialiste suisse du déchet nucléaire. A l’époque, ils avaient un intérêt vital pour se procurer une bombe atomique et ils étaient prêts à la financer à n’importe quel prix.» Depuis, le contexte mondial a changé. La bombe n’est plus une obsession, les dettes nationales explosent, le gaz naturel ne coûte presque plus rien et l’opinion publique tique à la simple évocation du mot nucléaire. Les Etats-Unis restent profondément marqués par l’épisode de Three-Mile Island. En mars 1979, le cœur de l’un des deux réacteurs de cette centrale de Pennsylvanie fond partiellement. De la radioactivité s’échappe du site et 200’000 personnes fuient la région dans la panique. Le président Jimmy Carter décide alors de stopper toute construction de centrale. L’autorisation de construire en 2012 deux nouveaux réacteurs à la centrale de Vogtle, près d’Augusta en Géorgie, est le premier projet du genre depuis l’accident. Le chantier a pris du retard et les coûts ont explosé (13,6 milliards de francs). Pas vraiment la promotion rêvée par les évangélistes du nucléaire qui se retrouvent attaqués de toutes parts. Par les écologistes, mais aussi par le lobby des énergies fossiles si puissant dans les couloirs du Congrès. Malgré tout, le gouvernement n’a pas renoncé définitivement à l’atome. La Commission de régulation nucléaire, qui valide les projets de réacteurs, réfléchit et cherche à adapter ses règles au profil des nouveaux acteurs du secteur. D’ici la fin de l’année, le Ministère de l’énergie (DOE) est censé choisir deux entreprises pour les subventionner à hauteur de près de 40 millions de francs chacune. Un autre programme de prêts devrait libérer jusqu’à 11,5 milliards pour la construction d’installations nucléaires. Au DOE, contacté par e-mail, on s’empresse toutefois de nuancer ces contributions: «Aux Etats-Unis, c’est le marché qui dicte l’évolution des technologies énergétiques. L’administration soutient le nucléaire, mais le gouvernement ne saurait forcer l’introduction de nouvelles technologies.» Comme l’a expliqué Barack Obama au Sommet des énergies propres le 24 août 2015 à Las Vegas, les Américains ne choisissent pas le solaire par amour de la nature, mais par logique économique. En clair, si le nucléaire veut percer, à lui de se rendre indispensable.