Le 7
avril 1941, deux réfugiées hollandaises installées à Nice
devisent au téléphone, soudain la liaison est interrompue par
l’opératrice des PTT qui leur demande de parler en français. Les
langues étrangères, sauf l’allemand pour les services officiels,
sont interdites sur le réseau téléphonique, une mesure destinée à
faciliter les écoutes téléphoniques. Les deux amies reprennent
leur conversation en français sans mesurer ce qu’elles
risquent:
– Il
faut parler français.
– Il
faut parler français? Et pourquoi?!
– Les
employés de la poste doivent couper toutes les fois que l’on parle
en langue étrangère.
– Ils
nous emmerdent! Ça c’est français!
– (Rires)
Très bien! Tu fais des progrès!
– Ce
sont des couillons les Français…
– (Rires)
Ça aussi c’est français…!
– Eh
oui! Ils sont couillons. S’ils l’avaient été un peu moins, ils
ne seraient pas obligés de faire tout ça…
Grâce à l’excellence de leurs fichiers, notamment ceux des étrangers vivant en France, l’inspecteur Nirascou peut, dès le 28 avril, remettre à ses supérieurs un rapport de trois pages qui donne tous les détails sur les deux interlocutrices: Rebecca Dikker, belge née en Hollande mariée à un Français prisonnier en Allemagne, résidant hôtel Imperator à Nice. Elle est fichée comme ayant demandé une carte d’identité d’étranger, est de confession israélite, son père est un riche rentier qui la soutient, elle a un amant français. Quant à Anny Penha, c’est une Hollandaise mariée à un diamantaire d’Anvers, ville qu’elle a dû quitter avec son mari et sa fille pour fuir l’invasion allemande; elle est également de confession israélite. Le rapport est transmis au directeur de la police d’état de Nice qui y joint une mention manuscrite: «étant donné les renseignements recueillis sur ces deux étrangères, j’estime qu’il y a lieu de prendre à leur encontre une mesure d’internement administratif de rigueur, sans sursis.»
Le 13 mai, le Préfet des Alpes Maritimes donne son accord pour qu’il soit procédé à leur «assignation à résidence surveillée» dernière étape avant le voyage sans retour vers les camps d’extermination.
Des horreurs qui ont marqué la Seconde Guerre mondiale, la persécution des Juifs reste sans conteste la plus odieuse. Les premières mesures antisémites en France (1940 à 1941) s’inscrivent dans le cadre du programme de Révolution nationale concocté par le gouvernement de Vichy: éviction des Juifs des services publics et de l’enseignement, imposition d’un numerus clausus (2 pour cent) pour les professions libérales et l’enseignement supérieur, vente forcée ou liquidation de certaines entreprises et propriétés immobilières juives. L’opinion publique, quant à elle, est bien trop préoccupée par sa propre situation pour s’inquiéter d’une telle campagne. D’autant que, depuis le début de la guerre, bon nombre de Juifs ont fui la zone occupée pour venir grossir les rangs des réfugiés, ce qui n’a fait qu’accroître l’hostilité d’une partie de la population à leur égard.
Les Juifs suscitent chez certains Français une réelle hostilité. Même au sein de la communauté juive, des scissions existent. Un clivage s’est produit entre les Juifs français et les Juifs étrangers. On peut estimer à trois cent mille le nombre de Juifs vivant en France à la veille de la guerre, dont la moitié sont de nationalité française. Ces derniers se sentent nettement supérieurs aux «étrangers» qu’ils n’apprécient pas toujours, persuadés que leur mise à l’index est due à la confusion qui est faite entre eux. Or, le premier statut des Juifs vise l’ensemble de la communauté: Vichy ne fait aucun distinguo.
Le statut du 3 octobre 1940, décrété par Vichy, répond à cette question. A partir de là, commence la chasse aux certificats de baptême. Les Juifs étrangers sont, eux, arrêtés systématiquement. A la signature de l’Armistice, beaucoup de Juifs français regagnent, confiants, leur domicile, ignorant le sort que leur réservent les nazis avec la complicité du gouvernement de Vichy.