La défaite et l’occupation de la moitié du pays par l’Allemagne suscitent aussitôt, chez une frange de la population, un refus de la fatalité. Dans une atmosphère alourdie par la multiplication des difficultés matérielles, tous les Français ne se replient pas sur eux-mêmes et sur leurs problèmes de survie quotidienne. Les premiers résistants hostiles à l’occupant et critiques de Vichy se mobilisent, à contre-courant d’une population désorientée qui, en 1940-1941, croit encore que Pétain peut les protéger des conséquences de la défaite.
Résister, c’est d’abord un état d’esprit, l’expression d’un patriotisme viscéral qui ne supporte pas le spectacle du triomphe d’un ennemi haï depuis 1870. Ce sentiment est renforcé par une idéologie antinazie, qu’elle vienne d’un engagement politique ou d’un christianisme militant. Résister, c’est d’abord écouter la BBC où s’exprime la «dissidence gaulliste», changer de trottoir à la vue de soldats allemands, qualifier l’occupant, dans ses conversations et ses lettres, des surnoms les plus insultants. Résister, c’est aussi s’engager physiquement. Les premières actions restent individuelles. Beaucoup de Français ne dépasseront pas ce stade, par peur de la répression. La police allemande et celle de Vichy veillent: des mouchards opèrent dans tous les lieux publics, le courrier est ouvert et la sauvagerie des représailles en fait réfléchir plus d’un. Malgré un sentiment antiallemand omniprésent, la plupart des Français se contentent d’une résistance toute passive, qui ne les empêche cependant pas de coexister, voire de commercer avec l’occupant. L’attentisme règne, surtout pendant les deux premières années de la guerre, où la supériorité de l’Allemagne est écrasante. C’est pourquoi ils sont admirables, ces premiers résistants qui mènent, spontanément ou à partir des mots d’ordre de la BBC, des actions individuelles ou collectives. Ainsi, le 11 novembre 1940, des milliers de lycéens parisiens vont manifester en déposant une gerbe de fleurs sous l’Arc de triomphe. Plusieurs dizaines d’entre eux sont arrêtés. A Lyon, à Marseille, on assiste à des démonstrations germanophobes du même type.
Les arrestations, fusillades d’otages et déportations ne font qu’exacerber les sentiments. Ces représailles de la Gestapo et de ses complices français n’étouffent en rien le désir de «faire quelque chose». Peu à peu, l’action s’organise autour de différentes sensibilités: de Gaulle, le parti communiste et les Francs-Tireurs et Partisans (FTP) qui mènent à partir de 1942 une lutte armée de type révolutionnaire. Agissent alors les réseaux à vocation militaire gaullistes ou anglais de l’Intelligence Service; les mouvements organisés autour d’un journal clandestin dont l’objectif est de sensibiliser la population, les réseaux d’aide aux prisonniers, le noyautage de l’administration.
Nous ne disposons, bien entendu, d’aucune lettre de résistant engagé dans l’action. Ils ne se risquaient pas à confier à la poste le récit de leurs aventures ou leurs sentiments. En revanche, beaucoup de simples citoyens, inconscients des dangers encourus, manifestaient dans leur correspondance privée un esprit de farouche insoumission. A travers ces lettres, la résistance apparaît sous différents aspects. Avant de devenir le mouvement que l’on connaît, elle s’exerce d’abord à un niveau individuel. Premières initiatives de résistance, aussi naïves que touchantes, l’envoi de lettres anonymes, mais incendiaires, au quartier général allemand de l’hôtel Majestic. Quelques-unes de ces missives ont été conservées dans les archives du Majestic, saisies à la Libération, telle celle de cet ancien combattant qui écrit, le 16 novembre 1940: