N’ayant pas réussi à déstabiliser Barack Obama sur la couleur de sa peau, ses adversaires ont dû chercher une autre faille. Ce sera son lieu de naissance. Comme le stipule la loi, toute candidature d’un prétendant à la présidence des Etats-Unis d’Amérique sera invalidée s’il n’est pas né sur territoire américain. Or, depuis que le jeune sénateur de Chicago a annoncé son intérêt à briguer l’investiture démocrate et que sa cote de popularité s’est peu à peu envolée dans les sondages, il a dû affronter les tenants de la théorie du complot nativiste, les birthers. Selon ces derniers, le Chicagoan aurait menti sur son lieu de naissance pour accéder à la charge suprême. «La théorie du faux certificat de naissance de Barack Obama circule depuis la campagne électorale (où elle avait été agitée par des partisans de Hillary Clinton), déclare la journaliste Corine Lesnes dans Le Monde du 30 juillet 2009. Ses adeptes affirment qu’il est né au Kenya et non pas à Hawaï.» Un groupe d’électeurs blancs, n’acceptant pas d’avoir un président noir à la tête du pays, a déposé plainte auprès de la Cour suprême, espérant ainsi faire invalider l’élection. Les juges de la plus haute institution juridique du pays ne sont pas entrés en matière. Mais le malaise demeure persistant au sein d’une certaine frange de l’électorat blanc républicain, qui se défend d’être raciste: ce n’est pas possible qu’un Noir ait pu être élu sans tricherie. Les birthers donnent par la suite de la voix dans une douzaine de parlements d’Etats étasuniens. Ainsi, rapporte Joëlle Kunz dans Le Temps du 28 avril 2010, «les représentants de la chambre basse de l’Etat de l’Arizona viennent de voter par 31 contre 29 une loi obligeant Barack Obama à prouver qu’il est bien Américain s’il veut la participation des Arizoniens au vote pour la réélection en 2012.» La républicaine Judy Burges, auteure de cette loi, exige la présentation de l’intégralité du certificat de naissance et non pas simplement des extraits, comme c’est habituellement le cas pour les candidats à la présidence. Le document présenté jusqu’ici par Barack Obama ne serait qu’un faux, fulminent les birthers. L’affaire prend de l’ampleur. Corine Lesnes écrit en mai 2010 dans Le Monde que «les sondages montrent que 45% des Américains pensent que Barack Obama est né aux Etats-Unis, contre 25% qui croient le contraire. Mais si on interroge les seuls républicains, 45% sont convaincus qu’il est né hors du pays (contre 33% seulement qui croient à sa naissance à Hawaï).»
Le milliardaire Donald Trump, qui aspire depuis 2011 à se présenter comme candidat républicain à l’investiture américaine, récupère la polémique, devenant ainsi le chantre des birthers. Ses attaques se font toujours plus vives. A une année des élections présidentielles de 2012, Barack Obama se doit de réagir sous la pression du monde politique et médiatique. Le 27 avril 2011, le président présente à la presse l’intégralité de son acte de naissance. Il fait part de son mécontentement aux journalistes: «En temps normal, je ne me livrerais pas à des commentaires sur quelque chose de ce genre. J’ai d’autres choses à faire», déclare-t-il en faisant allusion à l’établissement difficile du budget fédéral et à la résolution du problème de la dette abyssale des Etats-Unis. «Nous ne serons pas capables de le faire si on invente des mensonges […] si on se laisse distraire par les bateleurs de foire», écrit Adèle Smith dans Le Figaro, le 27 avril 2011. Donald Trump, de son côté, jubile: «Je suis fier d’avoir réussi ce que personne n’avait jamais réussi à faire» en contraignant Barack Obama à publier son acte de naissance. Mais, déclare le magnat de l’immobilier au journaliste Anderson Cooper de CNN, «Je vais y jeter un coup d’œil, j’espère qu’il est authentique». Et déjà les birthers remettent en cause le document car, dans la case «race», il a été noté «Africain» et non «nègre» comme la terminologie de l’époque l’exigeait… Le certificat, selon eux, aurait été falsifié. Quelques jours plus tard, Barack Obama va se payer la tête du milliardaire lors du dîner des correspondants à la Maison-Blanche. Devant les caméras de télévision et un parterre d’un millier d’invités issus du monde médiatique, le président se moque ouvertement de Donald Trump, présent dans la salle: «Je sais qu’il a été critiqué récemment, mais personne n’est plus fier de mettre un terme à cette affaire de certificat de naissance que Donald […] C’est parce qu’il peut enfin se consacrer à des questions vraiment importantes, comme: avons-nous truqué l’atterrissage sur la lune? Que s’est-il vraiment passé à Roswell?» Trump est la risée de la salle. Il fulmine intérieurement, mais ne laisse rien paraître. Rédacteur en chef de The New Yorker, David Remnick déclare que ce moment d’humiliation a certainement été l’élément déclencheur qui a poussé Trump à se lancer dans la course à la Maison-Blanche. Correspondant de la Radio Télévision Suisse (RTS) à Washington, Pierre Gobet confirme les propos: «Aujourd’hui, le principal intéressé [Trump] repousse l’idée que cette soirée puisse avoir motivé le désir de se venger. Mais certains de ceux qui ont assisté à ce dîner en sont convaincus: ils étaient là, dans la salle, quand Donald Trump a pris la décision d’être, un jour, président des Etats-Unis.» Une année après la publication dudit acte, Donald Trump continue d’alimenter le débat complotiste. Le 6 août 2012, en pleine campagne présidentielle, il écrit le tweet suivant: «Une source extrêmement crédible a appelé mon bureau et m’a dit que l’acte de naissance était un faux.» Deux ans plus tard, le promoteur immobilier récidive en incitant les hackers à retrouver le dossier universitaire du 44e président afin de vérifier le lieu de naissance qu'il avait indiqué à l'époque. Trump ne s’avoue toujours pas vaincu. En mai 2014, devant les invités du National Press Club de Washington, l’homme d’affaires new-yorkais fait à nouveau part de ses doutes quant à l’origine du président Obama. Certains commentateurs parlent d’obsession, mais, ricanant sous cape, ils ne voient pas que Donald Trump s’est déjà lancé dans la course à la Maison-Blanche en essayant de s’imposer auprès des déçus de la présidence Obama. Les journalistes Stéphane Bussard et Philippe Mottaz déclarent ainsi dans leur ouvrage ♯Trump. De la démagogie en Amérique paru en 2016: «S’emparant de la frustration qu’a créée auprès d’une frange de l’électorat l’investiture du premier président noir dans l’histoire du pays, le tribun new-yorkais trouve une méthode pour exacerber les sentiments de celles et ceux qui ne se reconnaissent pas dans cette “nouvelle” Amérique». Cette stratégie s’avérera payante auprès de l’électorat blanc des Etats ruraux et désindustrialisés.