Carrefour de l’Eurasie depuis quatre millénaires, le Xinjiang regorge de ressources naturelles. C’est l’un des points stratégiques des nouvelles routes de la soie, une pièce maîtresse du grand «rêve chinois» de Xi Jinping, sur l’autel duquel le parti a décidé de sacrifier un peuple entier, les Ouïghours. Ainsi que le révèle l’édifiante enquête de la journaliste française spécialiste de la question ouïghoure Laurence Defranoux, dont nous publions ici un extrait. Une tragédie qu’a immortalisée le photographe et sociologue suisse Werner Haug en 2003, à une époque où, malgré les destructions à grande échelle, la population ouïghoure vivait encore selon ses traditions. Regards croisés.
Durant 70 ans, la répression des Ouïghours par la République populaire de Chine est restée sous le radar de l’Occident. A la différence de leurs voisins tibétains, les Ouïghours ne sont pas unis autour de la figure d’un dalaï-lama à l’aura planétaire ni localisés sur le mythique toit du monde. Jusque très récemment, leur nom était inconnu du grand public. Le 8 juillet 2009, quand Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères français, mentionne sur France Info les émeutes qui enflamment Urumqi, la capitale régionale, il les appelle les «Yoghourts». Pour justifier la répression, les autorités chinoises les dépeignent comme des paysans bigots et arriérés, paresseux et misérables qu’il faut éduquer et ouvrir à la civilisation. Pourtant, ce peuple doté d’une élite riche et cultivée, traditionnellement ouvert sur le monde, est l’héritier d’une épopée qui remonte à l’Antiquité. Le Xinjiang n’est pas non plus un coin perdu et isolé qu’il faudrait défricher. Grand comme trois fois la France, regorgeant de ressources naturelles, frontalier de huit pays, il est depuis quatre millénaires le carrefour vibrant de l’Eurasie, le creuset de civilisations sophistiquées et le théâtre de terribles guerres. En 1950, l’historien et écrivain américain Owen Lattimore le qualifiait même de «nouveau centre de gravité du monde» [...]