Né en septembre 1966 à Langenbruck par un dimanche chaud et très ensoleillé, Benno a vécu les dix premières années de sa vie dans ce village de 968 habitants «tout au fond et tout en haut du canton de Bâle-Campagne». A 5 ans, il apprend à lire avec sa grand-mère. Des classiques pour enfants, d’abord: Huckleberry Finn, Moby Dick, Robinson Crusoé; à 12 ans, il se découvre une passion pour les récits de science-fiction, qui ne l’a plus quittée depuis. Sa famille, «un exemple typique de la classe moyenne inférieure», déménage ensuite à Lausen, puis à Liestal, deux petites villes du canton où il fait sa scolarité obligatoire. Son père, employé de commerce devenu comptable, reprend une société qui fera faillite. Sa mère, quant à elle, travaille comme téléphoniste-réceptionniste dans l’industrie horlogère pendant des années avant de devenir invalide à la suite d’une grave maladie. Benno a également une soeur d’une année sa cadette. L’atmosphère à la maison n’est pas très chaleureuse: «Ça aurait pu être pire, mais bien mieux aussi. Après sa journée de travail, mon père s’enfermait dans sa chambre avec un six-pack de bières. Les disputes étaient fréquentes et ma mère avait peu d’autorité sur nous, ses enfants, très tôt livrés à nous-mêmes. La promenade du dimanche après-midi était mon cauchemar: j’aurais préféré lire ou jouer au lieu de marcher dans les bois. Parfois, mon père m’emmenait voir des matches de football ou nager à la piscine. J’attendais avec impatience les camps de ski et de vacances, car j’aimais le sport. Deux fois par année, nous partions en vacances à Meiringen dans l’Oberland bernois; jamais dans des hôtels ou en appartements, mais dans les Naturfreunde (auberges familiales), l’option la meilleure marché.» C’est au cours de son adolescence que Benno découvre que «tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Bien que nous ne manquions de rien, je devais me contenter du vieux tourne-disque de ma mère alors que certains de mes camarades exhibaient une grosse chaîne stéréo dans leur chambre, parfois même un poste de télévision. J’étais toujours celui qui avait le moins d’argent de poche en colonie.» Une jeunesse «à l’étroit financièrement» qui aurait forgé ses convictions politiques et son penchant antinucléaire, proches des aspirations de son père, un militant convaincu qui l’a emmené aux manifestations contre la centrale de Kaiseraugst en Argovie à la fin des années 1970. «Je n’ai cependant jamais rejoint de parti, car aucun ne correspond à mes idées. Je suis d'extrême gauche et pacifiste, mais, si un gros bonnet capitaliste vivant aux dépens des autres ou un politicien véreux est victime d'une tentative d'assassinat, je ne m'en attristerai pas. Je ne passerai jamais à l'acte, mais je peux comprendre et accepter ce genre de violence.»
En 1989, maturité en poche et école de recrues derrière lui, Benno commence à étudier les langues et l’histoire à l’Université de Bâle. «Je me suis vite rendu compte que ce n'était pas mon monde; la fac, c’est pas pour les fauchés.» Il abandonne donc après deux semestres et travaille dans l’atelier d’un importateur de machines agricoles qui lui propose, après une année, un apprentissage de mécanicien. Il obtient son CFC au moment où l’entreprise part en faillite. Entre 1995 et 2000, il cumule les emplois temporaires jusqu’à ce qu’une société de commerce de détail l’embauche. Il y restera dix ans. «J’étais la "fille à tout faire": je naviguais d’un département à l’autre, selon les besoins.» Fin 2010, l’entreprise déménage à Egerkingen, dans le canton de Soleure. «Comme il était hors de question que je quitte Bâle-Campagne, j’ai fait la navette pendant quelques mois... jusqu’au jour où j’ai réalisé que j’étais complètement "kaputt" (cassé): lever à 5h, une heure de train pour me rendre au boulot, bosser toute la journée, rentrer à 21h, préparer à manger – avec quoi, d’ailleurs? Les magasins étaient toujours fermés quand je sortais du travail.» S’en suivent deux ans dans une usine de tubes métalliques qui, à son tour, tombe en faillite. «Les machines ont été vendues à une société en Slovaquie qui fabrique les mêmes produits avec les mêmes machines pour les mêmes clients...» Début 2013, Benno travaille comme magasinier dans une entreprise de câbles électriques. Mais, au bout de trois ans, la direction décide de regrouper ses activités en Suisse romande. «On m’a bien proposé un poste, mais penduler cinq heures quotidiennement était impensable.» Nouveau licenciement et retour aux agences de travail temporaire. «J’avais presque 50 ans, le krach boursier de 2008 avait définitivement mis fin aux années d’abondance et je ne voulais en aucun cas quitter le canton de Bâle, car j’avais une passion qui occupait tous mes moments de liberté, la musique.»
Enfant, Benno jouait de la flûte – «comme tout le monde ici». Mais quand il a voulu étudier la guitare à la Musikschule, ses professeurs lui ont objecté que c’était impossible «parce que j’avais les doigts comme des saucisses»! N’ayant pas l’énergie d’acheter une guitare et d’apprendre à jouer en autodidacte, il cherche quand même quelque chose dans le monde de la musique: il sera roadie (machiniste itinérant) et tourne avec un groupe de rock amateur formé par quelques jeunes de son école. A 20 ans, le voici apprenti journaliste; il couvre des petits festivals open air locaux pour un quotidien régional: «Ils réunissaient peut-être 30 spectateurs, mais ils ont tous eu leur article dans le journal!» Plus tard, quand sont apparus les fanzines – des publications indépendantes autoéditées et élaborées «par les fans pour les fans» –, il réalise des reportages sur des groupes suisses allemands dont plusieurs sont devenus célèbres comme Krokus. Bien sûr, il n'est pas rémunéré, mais Benno a assisté gratuitement à quantité de concerts avec accès backstage et s’est constitué une jolie collection de plus de 200 CD. L’aventure dure une dizaine d’années jusqu’à ce qu’internet coule les fanzines et mette de facto un terme à sa carrière de reporter.
«Ma vie se divise en tranches de 10 ans, me précise-t-il. De 20 à 30 ans, ce fut ma période rock-metal; tous les week-ends, je dansais comme un ours dans des discos de campagne. Entre 30 et 40 ans, c’était la techno: la rumeur courait que ses adeptes prenaient des drogues. Comme cela m’intéressait, je me suis rendu à l’une de ces fêtes où un type m'a donné une demi-pilule d'ecstasy. J'ai dansé jusqu’au matin suivant, une expérience incroyable. Ensuite, j’ai fréquenté les Goa Trance Parties dans les champs; on consommait non seulement de l'ecstasy, mais aussi des hallucinogènes comme le LSD et les champignons. Je dis toujours que c'est un avantage d'avoir 30 ans quand on découvre les drogues, car on est plus mûr. J'ai pris des risques et fait des expériences dangereuses, mais j’ai su garder les pieds sur terre et me protéger pour ne pas tomber accro. Ce qui n'est pas forcément évident, surtout avec le speed (amphétamines, nda)» Quand il quitte Liestal pour Bâle au début des années 2000, Benno passe tout son temps libre sur internet et rencontre ainsi Catrin, «la petite», bien qu’elle le dépasse de quelques centimètres... «J’étais membre d’un groupe de chat (discussion, nda) qui réunissait des Suisses, des Allemands et des Autrichiens. En été 2004, j’ai organisé un week-end afin de se rencontrer physiquement; on s'est retrouvé à quinze, dont Catrin. C'était super! Il y avait de la musique et de la bière toute la nuit. J’ai beaucoup discuté avec Catrin qui est revenue me voir à plusieurs reprises. Depuis, on est ensemble, chacun chez soi, dans son pays. Côté musique, elle est plutôt hard rock, alors on a commencé à aller l’été aux festivals de metal en Allemagne qui coûtent nettement moins cher qu'en Suisse.» Benno n’a jamais vécu en couple, car «je n'ai pas eu beaucoup de copines, j'avais autre chose dans la tête et je ne peux pas avoir d’enfants.»