Face aux inégalités, à la pression démographique et aux dérives d’un régime autoritaire, une page se tourne ce jeudi 1er février 1979. Le basculement révolutionnaire et idéologique paraît inévitable après des mois de blocage. Plus de trois millions d’Iraniens, citadins et paysans, se massent le long des rues et des avenues de Téhéran, tous venus acclamer l’ayatollah Khomeyni, après quinze années d’exil. Une partie de la foule l’attend à Behecht-e-Zahra, le «cimetière des martyrs» au sud de la capitale, scandant à l’unisson «indépendance, liberté, République islamique» et Allahu Akbar (Dieu est grand). Pour son premier discours, le chef spirituel de la communauté chiite a voulu saluer la mémoire des victimes de la répression du shah, celui qui dirigeait le pays d’une main de fer depuis 1941.
Marjane Satrapi n’a pas encore conscience de l’impact historique de cette transition. Fille d’une famille de militants communistes née à Rasht, sur les bords de la mer Caspienne, la fillette, scolarisée dans un lycée franco-iranien de Téhéran, n’a que 10 ans lorsque éclate la guerre entre l’Iran et l’Irak, en septembre 1980, une année après l’élection de Khomeyni au pouvoir. Envoyée dans une école privée catholique à Vienne, Marjane Satrapi fréquente une bande de punks nihilistes, qui la pousse à s’interroger sur son identité, sa capacité d’intégration et son adaptation à d’autres cultures. Quand elle rentre dans son pays en 1988, à la fin de la guerre, elle s’inscrit à l’Ecole des Beaux-Arts de Téhéran et obtient une maîtrise de communication visuelle.
Malgré le bras de fer avec les Etats-Unis, le régime ne faiblit pas et les Pasdaran, miliciens de la vertu, continuent de traquer le moindre comportement non conforme aux règles de l’islam: une mèche de cheveux dépassant du voile, des femmes qui courent dans les rues provoquant le balancement de leurs fesses de manière impudique… Face à cette nouvelle façon de vivre en société, Marjane Satrapi quitte son pays en 1994 pour rejoindre l’Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg en France, puis l’Atelier des Vosges, un collectif informel de dessinateurs installé à Paris. L’un d’eux, David B, l’encourage à se lancer dans la bande dessinée pour épingler le recul des droits individuels face à ce qu’elle considère comme une «idéologie bornée». Aussitôt dit aussitôt fait. En 2000, à 31 ans, Marjane Satrapi publie Persepolis 1, son premier ouvrage autobiographique, compilant des passages de sa vie comme l’instauration du foulard à l’école ou lorsque son père apprend l’occupation d’étudiants islamistes dans l’Ambassade des Etats-Unis le 4 novembre 1979.