Sept.info | La sale guerre du Sri Lanka (12/21)
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Le drapeau du Sri Lanka, également appelé drapeau du lion, fut officiellement adopté le 17 décembre 1978. Le lion représente le courage; le fond pourpre, les Cinghalais, la majorité des habitants du Sri Lanka; les bandes verticales, les deux grands groupes minoritaires du pays (safran pour les Tamouls, verte pour les musulmans). © ​Nazly Ahmed ​

La sale guerre du Sri Lanka (12/21)

A partir de 1984, des centaines de Tamouls requièrent l'asile en Suisse. Véritables réfugiés ou affreux profiteurs? Pour répondre à cette question, Roger de Diesbach part enquêter dans l'ancienne île de Ceylan et en revient avec un documentaire unique et saisissant pour la Télévision suisse romande.

Octobre 2006, des représentants du Gouvernement sri lankais et des indépendantistes tamouls du Tigre se réunissent à Genève sous les auspices de la diplomatie norvégienne. C’est un échec cuisant de ces nouveaux pourparlers de paix. Il y a pourtant vingt-trois ans que cette affreuse guerre civile a commencé. En 1986, je l’ai vécue en direct. Depuis, quelque chose, pourtant, a changé. A la page Sri Lanka, mon carnet d’adresses est vide. La plupart des personnes rencontrées à Ceylan, il y a vingt ans, ont été tuées.

En cette année 1984, les milieux nationalistes et xénophobes helvétiques se déchaînent contre les requérants d’asile et principalement contre les Tamouls qui arrivent en Suisse. Fin mars 1985, l’Action nationale d’extrême droite diffuse un rapport interne du Ministère public de la Confédération qui dénonce les abus du droit d’asile. Ce document s’en prend surtout aux Tamouls: «Ces faux réfugiés justifient leur arrivée à Berne par des histoires identiques bien apprises. Les indemnités de soutien qu’ils reçoivent en Suisse sont si généreuses qu’elles permettent aux Tamouls de secourir la parenté restée au pays, de former des terroristes et d’acheminer vers la Suisse de nouveaux réfugiés.» La presse de boulevard se déchaîne contre les Tamouls vendeurs de drogue avec des titres du genre «Tam-tam-Tamouls». La conseillère fédérale Elisabeth Kopp relativise la persécution des Tamouls au Sri Lanka et prépare l’expulsion d’un millier d’entre eux. Renvoyés, les quelque 5’200 jeunes Tamouls qui se trouvent en Suisse ne seront-ils pas traités en terroristes? Se fondant sur des rapports d’experts, la cheffe de la justice suisse ne le croit pas. Quelques jours plus tôt, Mme Kopp avait reçu un ministre cinghalais, M. Abdul Shahul Hammeed. Le procès-verbal de cet entretien paraît dans la TLM de 11 mars 1986. Le ministre affirme que les trafiquants de drogue financent le terrorisme tamoul. Or, 80 Tamouls ont été arrêtés pour trafic de drogue en Suisse et risquent l’expulsion. Ils sont considérés par Colombo comme des financiers de la terreur. Le jour suivant, je publie le rapport confidentiel d’une mission de la Police fédérale au Sri Lanka. Il met en miettes les propos rassurants de Mme Kopp sur la situation dans le pays. Réalisé par les experts Zuckschwerdt et Werenfels, ce rapport, effrayant, affirme que les autorités cinghalaises peuvent légalement faire ce qu’elles veulent de 70% des rapatriés qui seront considérés comme des criminels. Et qu’un retour dans les provinces du Nord et de l’Est est lié aux plus grands risques. Ces régions sont en guerre: arrestations arbitraires, enfants et vieillards fusillés, nombre de disparus impressionnants, destruction massive de bâtiments, etc. Le rapport exclu que les Tamouls rapatriés de Suisse puissent s’installer dans le Sud cinghalais. La méfiance y est bien trop grande.

Ces Tamouls qui arrivent en Suisse sont-ils de véritables réfugiés ou d’affreux profiteurs? Pour répondre à cette question, Claude Torracinta et Jean-Claude Chanel, les producteurs de Temps présent, la meilleure émission documentaire de la Télévision suisse romande, décident de réaliser un reportage sur place. Sachant que je quitte La Tribune-Le Matin et que je suis donc pratiquement sans emploi, Claude Torracinta me propose de réaliser ce documentaire comme journaliste avec le réalisateur André Gazut. J’accepte avec enthousiasme. L'essentiel d’un tel reportage ne pouvant se faire que sur le terrain, nous avions prévu cinq semaines de tournage au lieu des deux semaines habituelles; cinq semaines au Sri Lanka, mais aussi dans le sud de l’Inde, où 120’000 Tamouls sri lankais et nombre de dirigeants des Tigres de l’Eelam Tamoul (LTTE), le mouvement indépendantiste le plus important et le plus radical, ont trouvé refuge. La documentation réunie avant notre départ nous permet de saisir les risques liés à ce reportage. Nous décidons donc, pour la première et unique fois dans l’histoire de Temps Présent, de partir à deux (les équipes normales étaient constituées d’un journaliste, d’un réalisateur, d’un cameraman et d’un preneur de son) avec une petite caméra amateur vidéo 8 mm. Syndicalement déjà, l’opération était risquée. Sur la plage du paradis perdu, la guerre oppose depuis trois ans les séparatistes tamouls et l’armée cinghalaise. Mais une guerre pourrie qui oscille entre terrorisme et guerre d’occupation. Gazut, avec lequel je vais partager ma vie quatre mois, n’est pas homme facile; je ne suis pas un agneau. J’ai des craintes, car ce genre de cohabitation avec un réalisateur TV s’est transformé en enfer pour des amis journalistes. Notre complicité professionnelle va souder une solide amitié. Baroudeur incroyable, Gazut a été tour à tour cameraman, réalisateur et producteur de Temps Présent. Sa caméra et lui, inséparables, ont voyagé dans le monde entier, multipliant les exclusivités (assassinat de Robert Kennedy, chute de Saigon en 1975). Objecteur de conscience en France du temps de la guerre d’Algérie, le réfractaire anticolonialiste Gazut fut donc durant trois mois le partenaire imposé de l’officier de milice que je suis. Sans friction, car nous avions la même passion du journalisme, des hommes, de l’humanisme. Son seul défaut était d’être un véritable bourreau de travail. Un vrai stakhano! Il m’a cependant appris des choses importantes, et d’abord à me méfier des cameramen. Lorsqu’ils filment, ils sont comme au cinéma, ils ont un écran entre eux et la réalité, ils perdent toute notion du danger. A un check point, j’ai vu un garde hurler l’ordre d’arrêter de filmer à un Gazut indifférent derrière son viseur. Je suis intervenu alors que le doigt de la sentinelle blanchissait déjà sur la gâchette. Gazut m’a aussi appris à regarder prier les gens, à profiter de la plus belle lumière de la journée, entre 6 et 9 h du matin, ou juste avant le crépuscule. Gazut, un homme riche.

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