Nostalgique du IIIe Reich, national-socialiste convaincu, ami et partisan des mouvements arabes de libération, ancien administrateur de banques arabes, François Genoud habitait paisiblement la petite bourgade vaudoise de Pully. Le correspondant du Monde à Lausanne et d’autres amis journalistes m’ont souvent reproché mes relations régulières avec un fasciste comme Genoud. Ma réponse est simple: François Genoud détenait plusieurs clefs d’informations restées secrètes. Dépositaire des droits d’auteurs des grands nazis, il devait tout savoir de leur exode. C’est en tous les cas ce que m’avait laissé entendre, un jour à Locarno, un ancien juge au tribunal de Nüremberg, Robert Kempner, un Américain d’origine allemande: «Genoud a dû prendre des contacts durant la guerre, mais avec qui? Il détient probablement cette clef d’or que vous n’avez pas trouvée. Simon Wiesenthal non plus. Personne n’a trouvé cette clef d’or qui a permis à de très nombreux nazis de prendre la fuite juste après la défaite vers l’Amérique du Sud. Que cette clef d’or ait ouvert au passage quelques coffres suisses n’est pas exclu.» Mais je ne présente aucune excuse. J’avoue au contraire une certaine fascination, ou du moins une grande curiosité pour les hommes extraordinaires, et Genoud en était. «Un infréquentable méchant», me répondra-t-on. Ce n’est pas le problème du journaliste d’investigation. Pour expliquer, je dois comprendre et pour comprendre rencontrer ceux qui détiennent l’information. Si l’intérêt général l’exige, la recherche de la vérité impose que le journaliste se confronte au sordide, se familiarise avec toutes les misères du monde. Impossible de descendre sans se salir dans la mine de l’information. Il est trop commode de se draper dans ses convictions morales, de s’armer de préjugés bien-pensants pour refuser toute compromission. C’est pourquoi la presse donne si souvent dans l’angélisme, le politiquement correct, la pensée unique. Si je suis convaincu que le journaliste ne dois pas hésiter à aller chercher ses sources dans la boue, je pense qu’il doit se garder d’aborder le prétendu méchant en l’écrasant d’un mépris qui casserait immédiatement toute relation. Il faut se garder de juger, de condamner.
François
Genoud
est l’une de mes sources depuis longtemps lorsque je publie pour la
première fois une interview-portrait de lui, le 12 mars 1982, sous
le titre: «La France aux trousses d’un fasciste suisse». Le
16 février 1982, le Tessinois Bruno Bréguet (32 ans) et
l’Allemande de l’Ouest Magdalena Kopp, future épouse d’un
certain Carlos, sont arrêtés à Paris. Ils auraient avoué leur
intention de commettre un attentat à l’explosif dans la capitale
française. Le 5 mars, Illich Ramirez Sanchez, alias Carlos, affirme
dans une lettre adressée au ministre Gaston Defferre qu’il s’en
prendra personnellement au Gouvernement français si ses deux amis ne
sont pas libérés. C’est
Genoud qui
finance la défense de ces terroristes présumés. Le 7 mars, sous un
petit article expliquant que Defferre prend les menaces de Carlos au
sérieux, Le
Monde publie
un long texte de son correspondant en Suisse Jean-Claude Bührer. Il
explique que le nom du banquier et éditeur François Genoud «revient
avec une rare constance chaque fois que la presse s’interroge sur
les liens de certains groupes terroristes avec les milieux néonazis».
Les mêmes propos sont tenus dans VSD,
L’express, Le Canard enchaîné, etc. Je
décide de donner la parole à François Genoud qui me répond de
mauvaise
grâce:
«Ce n’est que du mauvais cinéma. Ils font semblant de croire à
un complot. Ils font partie d’une petite coterie sioniste qui
cherche chaque occasion pour régler son compte à l’antisioniste
que je suis. Je vous choque? Mais c’est vous qui êtes venu
m’interroger.» S’il nie absolument être l’un des animateurs
de l’internationale néonazie, Genoud ne renie pas ses amitiés
pour le national-socialisme et les
Arabes.