Les images de Will Steacy sur la lente agonie du Philadelphia Inquirer racontent une histoire cent fois vécue. En cette année 2014, on ne compte plus les journaux qui ont cessé leur parution sur papier. Bien d’autres survivent, parfois plutôt bien, mais le grand chambardement est vécu avec émotion. Peut-être chez les lecteurs qui restent attachés aux pages imprimées que l’on caresse, que l’on survole, que l’on plie, que l’on rapproche ou éloigne des yeux. La vague des incertitudes ne s’épuise pas chez les journalistes et frappe de plein fouet toute la corporation de l’imprimerie.
Alors quoi? Pleurnichons tous ensemble? Evoquons les temps passés où les articles étaient transformés en pièces de plomb chaud? Cultivons le souvenir de nos émois devant les rotatives qui tournaient à toute vitesse et crachaient des milliers d’exemplaires vite emballés et chargés sur les camions? Il y eut, c’est vrai, des moments inoubliables. Tel, pour moi, la parution du premier numéro du Nouveau Quotidien où l’éditeur et les journalistes ébahis voyaient sortir des cylindres le nouveau-né, le verre à la main, le chaud au cœur.
L’Hebdo, lui, a toujours été imprimé au fond de la Suisse allemande et ses journalistes n’ont jamais humé l’odeur de son encre fraîche. Soit dit en passant, cela ne l’a jamais empêché de développer son identité propre. La nostalgie fausse la perspective. Il suffit de plonger dans une bibliothèque et de feuilleter les collections pour s’en rendre compte: les journaux d’autrefois n’étaient, le plus souvent, pas meilleurs que ceux d’aujourd’hui. Les vieux rédacteurs qui n’idéalisent pas leur parcours le savent bien. Ce regard attendri sur le passé éclipse une autre réalité. Si tant de journaux ont disparu, c’est dû bien sûr aux technologies nouvelles, à l’éparpillement de la manne publicitaire. Mais aussi à une lassitude des lecteurs qui perdaient peu à peu le lien avec ces titres.