Septembre

Au moment où Anne Frank rédigeait son journal dans un réduit à Amsterdam, Iouri Riabinkine, un adolescent russe d’une quinzaine d’années, noircissait les pages d’un document exceptionnel, retrouvé sur le tard et publié par les Editions des Syrtes. «Le siège de Leningrad, journal d’un adolescent (1941-1942)» est le témoignage court et poignant qui témoigne des atrocités endurées par les Soviétiques pendant la guerre, au cours d’un épisode moins évoqué, le siège de l’actuelle Saint-Petersbourg. Quelques pages d’un document bouleversant à découvrir ici avant d’en prolonger la lecture dans le livre.

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Les tirs de canons antiaériens déployés près de la cathédrale Saint-Isaac pendant la défense de Léningrad en 1941. © Boris Kudoyarov

Aujourd’hui, c’est le 1er septembre, nous n’avons pas eu de cours, et on ne sait pas quand ils vont reprendre (habituellement, la rentrée des classes en Russie a lieu le 1er septembre, nda). A partir de maintenant les achats ne peuvent être faits qu’avec des cartes de rationnement. Même pour les allumettes et le sel. La famine arrive. Lentement, mais sûrement.

Leningrad est encerclée! Les parachutistes allemands débarqués aux alentours de la station Ivanovskaïa ont coupé notre ville du reste de l’URSS...

J’ai le moral à zéro. Je ne sais pas si ma bonne humeur sera un jour de retour.

J’ai aidé maman à mettre à l’abri des papiers importants à son travail et je me suis brisé le dos en portant des sacs trop lourds.

Les bulletins d’information disent qu’il y a des combats sur toute la ligne de front. Rien de plus. La nuit, on voit des éclairs à l’horizon. Les canons à longue portée frappent l’ennemi depuis nos positions de tir. Les Allemands sont à cinquante kilomètres de Leningrad!

J’ai flemmardé toute la journée (à part quand j’ai aidé maman au travail). J’ai parlé à Finkelstein: s’il n’y a pas école, nous ferons ensemble le programme de la seconde (le ferons-nous vraiment?) Nous avons tous les manuels scolaires.

Demain, j’aurais dû avoir seize ans. J’ai seize ans!

Nikitine et Finkelstein voulaient s’enrôler dans la milice populaire, mais ne l’ont pas fait. Ils sont passés à l’école, où on voulait les obliger à peindre le toit (les toitures et les sols des greniers ont été recouverts d’une peinture spéciale à la chaux appliquée afin de diminuer les risques d’incendie, nda). Ils s’y sont refusés en disant qu’ils devaient partir, en promettant de revenir le lendemain. Ils n’y sont pas retournés.

Maman veut toujours m’inscrire à l’institut naval, mais je ne veux pas y aller. De toute façon je ne serai pas admis, parce que: premièrement, je ne vois pas assez bien, deuxièmement, j’ai des adhérences pleurales dans le poumon droit. Et puis il y a une autre raison. Pourquoi devrais-je me donner de faux espoirs radieux pour récolter ensuite des fruits amers?

Leningrad est bombardée par les Allemands avec des canons à longue portée. On entend tout le temps des explosions d’obus. Hier, une bombe a frappé un immeuble dans la rue Glazovskaïa: il n’en reste plus que la moitié. Finkelstein et Nikitine sont allés regarder et m’ont ensuite raconté. Une autre bombe est tombée dans un square. Beaucoup de morts et de blessés. Ce soir, il y a eu un autre bombardement. On entend tout le temps des explosions au loin, quelque part du côté de la gare de Moscou, par là-bas, un peu plus loin, derrière. Dans les files d’attente, les femmes disent que Hitler a promis de mettre fin à la guerre vers le 7 septembre, c’est-à-dire demain. Drôle de rumeur! Il n’y a pas si longtemps, on disait la même chose, sauf que ça devait être le 2 août.

Hier, je suis allé chez Stackelberg. Il n’était pas chez lui. Je rentre, et le voilà qui arrive. Il travaille à l’hôpital comme aide-soignant, il s’occupe des blessés. Nous sommes allés voir une exposition sur la guerre patriotique de 1812 (il s’agit de la campagne de Russie de Napoléon Iernda). Il y avait beaucoup de choses intéressantes. On a vu un char français de taille moyenne, un autre, tchécoslovaque, plus léger, puis un obusier-canon de 142 mm et toutes sortes d’armements et d’équipements allemands. Un truc nous a fait rire: une carte, comme la nôtre pour le pain, réservée aux soldats avec cette inscription: «Département impérial des baisers». On pouvait lire sur des coupons détachables (utilisés sans doute dans les bordels): «Baiser accidentel», «Baiser éphémère», «Coupon pour un rendez-vous», etc. L’impudeur totale. Des affiches et des photos, etc. sur les murs.

Il y a eu une alerte, et nous sommes restés à l’exposition pendant trois heures. Stackelberg m’a parlé des armes chimiques allemandes. C’est quelque chose de terrible!

... Il est 21 h 30. Leningrad est sous le feu des canons allemands à longue portée. De fortes explosions font trembler les bâtiments et les vitres.

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