Trois hommes, assis dans le salon d’une luxueuse villa, discutent de l’assassinat d’un quatrième. Ils parlent aussi de conflit nucléaire, de géopolitique, de guerre froide. Nous sommes en août 1960. En plein cœur de la Virginie. Il fait chaud, très chaud, le climatiseur tourne à fond. Robert Maheu, le propriétaire de la maison, écoute ses deux invités en costume cravate.
- C’est une mission top secret, dit le premier.
- Même le président Dwight Eisenhower n’est pas au courant, renchérit le second.
Les deux hommes ne plaisantent pas. Le premier a rang de colonel; le second est un officier de renseignement rompu aux opérations les plus troubles. Ils dirigent la plus clandestine des sections de la CIA, le bureau de Sécurité. Ce n’est pas la première fois que Robert Maheu travaille avec eux. La CIA est l'un des principaux clients de son agence de détectives privés Maheu Associates. Elle a recours à ses services pour des opérations délicates dans lesquelles elle ne veut pas apparaître: chantage sexuel, écoutes sauvages ou assassinats aux Etats-Unis. Robert Maheu a ainsi fourni «une compagnie féminine» au président indonésien Sukarno afin de satisfaire tous ses désirs, mais aussi et surtout, pour espionner tous ses faits et gestes lors de sa visite à New York. Dans les années 1950, à la demande du vice-président américain Richard Nixon, le privé a orchestré une campagne de déstabilisation afin d'empêcher le milliardaire grec Aristote Onassis de prendre le contrôle des exportations de pétrole saoudien. Maheu Associates, c’est Mission impossible au propre comme au figuré: l’agence de détectives a en effet servi de modèle à la série télévisée américaine des années soixante.
La trajectoire de Robert Maheu débute en 1942 alors qu’il vient de rejoindre le FBI pour une mission au cœur des réseaux d’espions hitlériens aux Etats-Unis. Il manipule un agent nazi retourné par le Bureau, Dieudonné Costes, un ancien as de l’aviation, le «Lindbergh français». Baptisée «Cocase», l’opération permet l’arrestation de plusieurs taupes et participe à la campagne de désinformation qui protège les lieux et date du débarquement allié sur les côtes françaises le 6 juin 1944 (opération Fortitude). Après la guerre, Robert Maheu aurait pu se vanter d’avoir manipulé une légende des raids aériens. Il ne l’a pas fait. De même est-il resté muet sur les opérations d’infiltration de la mafia new-yorkaise auxquelles il a participé avant son départ du FBI en 1947. Il est rare qu’un ancien du FBI fasse fortune en dix ans. C’est pourtant le cas de Robert Maheu. Comme tous ses ex-collègues, il a fondé son agence de détectives privés. Mais, contrairement à eux, il roule sur l’or. Sa réussite, il la doit à un homme: Howard Hughes, le roi d’Hollywood et de l’aéronautique. L’inquiétant milliardaire est son plus gros client, il le paie 500'000 dollars par an, met à sa disposition son parc de limousines et ses jets privés. Surtout, il lui ouvre les portes d’Hollywood. Bing Crosby ou Frank Sinatra sont ses nouveaux potes.