De l’avis unanime de ses collègues, William Binney était l’un des meilleurs – sinon le meilleur – analystes de toute l’histoire du plus secret de tous les Services secrets, la NSA. Mathématicien de génie, il possède l’art de la synthèse et surtout un véritable talent pour résoudre les problèmes. Mais, comme tous les précurseurs, il eut le tort d’avoir raison trop tôt et contre tous. Pionnier des lanceurs d’alerte de la NSA, il y a perdu sa carrière, sa famille et sa santé. William Binney se définit lui même comme un «cul-terreux» de Pennsylvanie. Cul-terreux peut-être, mais avec un diplôme supérieur de mathématiques. Alors qu’il aurait pu se lancer dans les affaires ou enseigner, William Binney devance l’appel et s’engage dans l’Armée américaine. Nous sommes alors en 1965 et la guerre du Viêtnam prend de l’ampleur. Sa bosse des maths lui vaut d’être admis à l’école de trafic et d’analyse. «Rien à voir avec les voitures, dit-il en riant. J’y ai appris l’analyse des codes et des systèmes cryptés» (les citations de William Binney sont extraites de ses conférences disponibles sur Dailymotion, ndlr). William Binney vient de trouver sa voie. Affecté à l’Army Security Agency, chargée d’écouter les conversations de l’ennemi, il est d’abord envoyé au sein d’une base américaine en Turquie. Puis, détaché au quartier général de la NSA, il y suit le début de la débâcle militaire américaine fin janvier 1968. «J’étais là au moment de la fameuse offensive du Têt qui a coûté la vie à plus de 2’000 soldats américains. Les services d’écoute avaient alerté les généraux avant l’attaque. Ils leur avaient dit qu’il se préparait quelque chose. Mais ils n’ont pas voulu nous croire. C’est alors que j’ai compris l’importance d’un traitement clair et rapide de l’information afin que les gradés puissent s’en servir sur-le-champ.»
De retour à la vie civile, William Binney rejoint la NSA. Il y restera 32 ans et finira directeur technique en charge de la géopolitique et de l’analyse militaire. «C’était le “geek en chef” de la section opération de la NSA», précise James Risen du New York Times. William Binney est un soldat de la guerre froide. Il n’a pas son pareil pour analyser le trafic des signaux électroniques en provenance du rideau de fer. «Mais il était frustré par la bureaucratie de la NSA, révèle le journaliste. Pendant des décennies, les faiblesses de l’Agence étaient masquées par le fait que l’ennemi principal de la NSA, l’Union soviétique, était une cible maladroite et lente qui donnait une apparence d’agilité à la NSA.» «Quand je rejoins la NSA, elle est en pleine expansion, explique William Binney. Elle est en train de devenir une structure monstrueuse. Elle est alors scindée en deux avec, d’un côté, les “opérations” et ses analystes et, de l’autre, les supports techniques et ses ingénieurs et techniciens. Résultat: ils ont formé deux camps avec des priorités différentes. Tandis que les opérations étaient censées mesurer les capacités de l’ennemi, le secteur technique avait de plus en plus besoin d’argent pour se consacrer à la récolte de l’information.» Estimant que cette séparation était ce qui pouvait arriver de pire pour la NSA, William Binney fait voler en éclat les cloisons dans son périmètre d’influence. Appuyé par son supérieur, il crée le Centre de recherche d’automatisation du renseignement sur les signaux électroniques (SARC) qui regroupe les différentes disciplines de la NSA. «Nous étions seulement seize, une petite équipe soudée et basée sur l’échange interdisciplinaire, détaille William Binney. Ingénieurs, analystes, décodeurs, tout le monde travaillait ensemble avec pour seul objectif de résoudre les problèmes. Si vous êtes dans votre boîte, vous n’avez pas de vision d’ensemble.»