Sahra Abdullay se devait de sauver ses six enfants encore en vie. A Mogadiscio, la milice islamiste Al-Shabbaab gonflait ses troupes en recrutant des mineurs pour en faire de la chair à attentat-suicide. Et en avoir perdu deux lui semblait un tribut suffisant à leur djihad insensé. En 2013, son fils aîné avait été kidnappé par les shebabs. Il était pourtant parvenu à leur échapper et à se cacher chez sa soeur. Mais, les islamistes somaliens l’ont retrouvé et abattu d’une balle dans la tête. Sa sœur aussi, qui portait en elle un germe de vie sur le point d’éclore. Avoir traversé 1’500 km pour trouver refuge dans le camp de déplacés de Nasahablod, au Somaliland, n’a pourtant pas suffi à apaiser la crainte qui ronge la matriarche quand elle songe à l’avenir de ses enfants. Chaque matin, elle les regarde quitter la hutte familiale, un taudis dressé sur des palis de bois et recouvert de tôle, de bouts de bâches et de tissus divers, pour aller cirer les chaussures des habitants d’Hargeisa. «J’ai honte. Pour eux. Et pour moi aussi. J’étais enseignante à Mogadiscio, ça me fait mal de devoir frapper aux portes pour proposer de faire le nettoyage», confesse la quinquagénaire d’une voix contrite.
Dans ce camp informel situé sur les hauteurs d’Hargeisa, capitale de l’Etat non reconnu du Somaliland, tout le monde a fui au moins une guerre, parfois plus. La vie s’organise sans eau ni électricité, dans des cahutes plantées sur un sol aride où ne poussent que des cactus coiffés de sacs plastiques. La seule commodité à proximité est le cimetière municipal, situé en contrebas de la colline. Un camp, 300 familles, une goutte d’eau parmi les milliers de réfugiés, demandeurs d’asile et migrants irréguliers qui se mélangent dans cet abri précaire qu’est devenu pour eux le Somaliland, un pays qui n’existe pas, mais où règne la paix.