Les conifères tapissent les collines d’un épais manteau vert foncé tandis que les fougères dessinent une prairie sans fin. Un bruissement d’eau remonte depuis le fond de la vallée. En ce mois de juillet 2014, le soleil de fin de matinée fait s’évaporer la brume et réchauffe déjà les sous-bois humides. On se croirait dans le Jura ou le contrefort des Alpes. Seul un ruban jaune estampillé «Pozor Mine» (Danger Mines en bosnien) barrant l’accès à la forêt rappelle qu’elle a abrité, presque vingt ans plus tôt, le génocide de Srebrenica.
Avec un accent suisse qui trahit des années d’exil, Muhizin Omerovic, dit Djile, raconte comment, en juillet 1995, il a été pris dans une embuscade. La veille, le 11 juillet 1995, l’enclave de Srebrenica à majorité bosniaque, c’est-à-dire musulmane, tombe aux mains de l’armée serbe. 14’000 hommes, soldats et civils, fuient dans les montagnes environnantes. Direction la zone libre, 80 kilomètres au nord. Le 12 juillet, «il faisait encore jour. Les Serbes nous barraient la route et la colonne ne pouvait plus avancer». Ils la mitraillent et la coupent en deux. «Nos compagnons ont demandé aux gens armés de venir devant pour attaquer la ligne. Moi, j’avais quatre-vingt balles dans mon sac à dos, deux chargeurs en réserve et le pistolet de mon père. J’étais prêt à y aller.» Djile est alors âgé de 20 ans. «J’ai commencé à remonter la colonne. A un moment donné, j’ai tourné la tête et j’ai vu tous ces gens avec un regard perdu. Je n’ai pas voulu les laisser.» Il prend une décision cruciale: il choisit de rester avec les gens de l’arrière. Ce sont eux qui seront massacrés. L’essentiel des 8’372 victimes du génocide. «Je suis devenu un homme à Srebrenica. Je n’ai plus peur, je veux juste mourir sur mes deux jambes.»