Un regard doux, une voix fade et sans résonance. L’homme devant moi est simple, affable, apparemment peu touché par la vénération que visiblement il inspire. J’ai même l’impression que ça l’amuse. S’il porte la barbe, une longue chevelure grise, s’il se montre toujours vêtu de tuniques blanches et marche pieds nus, on pourrait croire que c’est pour donner le change: ainsi doit paraître un maître spirituel. On ne s’est pas serré la main, juste un échange de regards, de sourires, et l’interview peut commencer au milieu d’un cercle d’Indiens et de Suisses attentifs. En l’observant, je me demande comment cet homme, qui répond avec application à mes questions, qui attend paisiblement pendant la traduction du malayalam à l’anglais, attire des millions d’adeptes. Je ne vois pas en lui l’homme que décrit la jeune Vaudoise Isadora Chanel dans son livre Feu février (indisponible) dont les «yeux brillants reflètent l’infini», qui «semble être la Vérité elle-même déguisée en être humain» et dont la seule présence suffit à «répandre une joie infinie en nous». Je me demande comment il peut bien assumer une mission divine qui, comme il le dit sans prétention, consiste à sauver le monde, faisant de lui une sorte de Jésus contemporain.
En cherchant des informations avant de le rencontrer dans cette maison villageoise du Gros-de-Vaud, je suis tombé et retombé sur le même récit, invérifiable, variant peu et peu précis. Pas de date de naissance, pas de nom de famille – des données sans doute de peu d’importance pour lui et les siens. Un article indique qu’il serait né en 1942 dans une famille de paysans du Kerala, au sud de l’Inde. Prénommé Narayana, autre nom du Dieu hindou Vishnou.
A la fin de sa scolarité, il a ressenti un appel intérieur et quitté la maison pour accomplir des ascèses spirituelles. On a commencé à voir en lui des signes divins, il a atteint l’état «paramahansa», état suprême de vérité. «J’étais complètement éveillé à l’intérieur, raconte-t-il. J’ai compris le sens divin de ma naissance et ce que j’avais à faire sur terre. Un des aspects les plus importants de ma mission est de donner une nouvelle manière de vivre dans la vérité. Le temps était venu de proclamer le nouveau dharma.» Le dharma? Ce qui ne facilite pas la compréhension entre les peuples, ce sont les sens multiples des mots sanscrits, langue sacrée qui n’est plus en usage. Apparemment on peut traduire dharma par des notions aussi différentes que réalité ultime, voie juste, équilibre, amour universel. Même chose pour Tathâta, qui selon les sources est traduit par «celui qui est cela», ou par «l’état de perfection absolue», ou encore le «véritable état de l’univers». Isadora Chanel, qui a fréquenté plusieurs fois son ashram, explique dans son livre que le mot indique la destination finale de la vie humaine, «c’est-à-dire le grand vide, la grande vacuité».
Comment est-il devenu Sri Tathâta? Ce nom, il l’aurait reçu le 21 janvier 1991 à Sarnath. Un lieu hautement symbolique: Bouddha y avait lui-même donné son premier enseignement. Celui qu’on appelle alors Narayana Paramahansa a choisi cet endroit pour proclamer ses 49 Dharma Sutras. Voici comment c’est arrivé: «J’étais assis en méditation juste avant de commencer ma proclamation, quand un son sortant des flammes subtiles de la nature est venu à moi. Il me disait: tu es Tathâta, tu es Tathâta. Tu reçois ce nom et tu accomplis ta mission. Ce nom m’était donné par la voix de la nature, je l’ai donc accepté. Depuis ce jour-là, je suis connu par ce nom.»