Nikolaï Iejov. Ce nom symbolise à lui seul les grandes purges staliniennes de 1936-1938, qui trouvent leur origine dans l’assassinat, le 1er décembre 1934, de Sergueï Kirov, chef du Parti de Leningrad et proche de Staline. Paru en Russie en 2007, le livre que lui consacre Alexeï Pavlioukov, Le fonctionnaire de la Grande Terreur: Nikolaï Iejov, permet d’apporter une pierre importante à l’édifice de la compréhension de ce que fut cette période en URSS. On savait déjà que, contrairement à ce qui a été longtemps soupçonné et colporté, l’assassinat de Kirov n’avait rien de politique (grâce en particulier au livre d’Alla Kirilina, L’assassinat de Kirov. Destin d’un stalinien, 1888-1934, Seuil 1995): c’est par désespoir que Leonid Nikolaïev, un homme déséquilibré et désespéré, commit cet assassinat. Il s’agissait donc d’un acte prémédité, mais individuel. Staline, désireux de commencer à liquider les «vieux bolcheviks» qui risquaient de contester son pouvoir et ses actes, a vite perçu le bénéfice qu’il pouvait en tirer: il a instrumentalisé ce meurtre, en fabriquant un soi-disant complot visant à éliminer les principaux dirigeants du Parti, dont lui-même naturellement. Iejov fera partie des enquêteurs chargés de démasquer ces «contre-révolutionnaires» et ce sera le début de sa carrière dans les Affaires intérieures: Staline a vite compris qu’il avait là un homme qui serait prêt à exécuter tous ses ordres, quels qu’ils soient.
Né en 1895 dans l’actuelle Lituanie, Iejov était un homme de très petite taille, chétif, chroniquement maladif et de surcroît alcoolique. Très loin, donc, de l’idée que l’on pourrait se faire d’un chef du NKVD (ancien nom du KGB). Iejov comprit très tôt que, pour avoir un avenir dans le Parti, quelques petits arrangements biographiques étaient nécessaires. Il s’inventa ainsi par exemple une adhésion au Parti bien antérieure à la réalité, et un passé d’ouvrier à l’usine Poutilov, emblème de la révolution prolétarienne à Saint-Pétersbourg, alors qu’il n’y avait jamais mis les pieds. Lorsque survient l’assassinat de Kirov, Iejov vient d’être élu membre du Comité central et est notamment responsable du département des organes dirigeants du pays. C’est à ce titre qu’il collabore à l’enquête. En février 1935, il devient président de la Commission centrale de contrôle puis, en février 1936, chargé de l’enquête sur les anciens trotskistes. C’est là que les choses sérieuses commencent. Les purges doivent débuter par les prétendus contre-révolutionnaires dans les rangs des anciens bolcheviks et dirigeants en place. D’abord de gauche (les trotskistes-zinoviévistes), puis de droite (Boukharine, Rykov, Tomski, entre autres), quitte à inventer une (més)alliance entre ces deux supposés «camps» théoriquement opposés destinée à renverser le régime. Une fois cela fait, les choses se dérouleront de façon méthodique: on purge le NKVD lui-même, jugé «trop mou», à commencer par son chef, Iagoda. Iejov devient dès lors le chef du NKVD. Ensuite c’est au tour des officiers supérieurs, puis subalternes, d’une armée qui se retrouve de la sorte décimée (ce qui expliquera en partie la percée phénoménale de l’armée allemande en juin 1941, lors du déclenchement de l’opération Barbarossa). Ce sont les célèbres «procès de Moscou». Après quoi, l’épuration de tout le pays pourra suivre. C’est l’ordre n°00447, en juin 1937.