Sept.info | La Suisse, nid d'espions (3/9)

La Suisse, nid d'espions (3/9)

© Juliette Léveillé
Déguisé en jardinier, Albert Meyer localise la cellule de Wolfer à Belfort. 

En quelques années, Albert Meyer est devenu le meilleur agent du poste du Service de renseignement français en Suisse. L’été 1942, alors qu’il veut faire évader un prisonnier, l’étau se resserre autour de lui.

Belfort, 23 juin 1942. Raymond Wolfer, l’un des meilleurs agents d’Albert Meyer, vient d’être arrêté sur dénonciation de deux agents troubles proches des Services de renseignement suisses (SR). Au départ, la Gestapo, qui croit à une simple affaire de contrebande, rend visite aux proches de Wolfer, dont Marie-Louise Chatel, pivot du groupe frontalier de Meyer, mais sans effectuer de perquisition et Marie-Louise Chatel n’est pas arrêtée. La Gestapo voulait peut-être seulement l’effrayer et voir sa réaction. Après s’être assurée qu’elle n’est pas suivie, Marie-Louise Chatel part voir Meyer et lui fait part de sa décision de se replier quelque temps sur Paris. Jugeant son PC (poste de commandement) suffisamment sûr, Albert Meyer reste sur place. Pour plus de prudence, il se contente simplement de dormir ailleurs que chez lui mais il veut avant tout tenter de sauver son réseau belfortain. Le 29 juin, Meyer apprend que Raymond Wolfer est détenu à la caserne du boulevard Friedrich à Belfort, et il décide de passer à l’action. Au cours de son premier repérage des lieux, il découvre que la prison n’est pas à l’intérieur du corps de bâtiments principal mais dans une ancienne écurie sommairement transformée. Le relief tourmenté de l’endroit autorise tous les espoirs. Un simple mur haut d’à peine deux mètres, avec, en contrebas, un jardin ouvrier, ceint la caserne, située en dehors des fortifications de Vauban. Déguisé en jardinier, Meyer s’approche sans trop de difficultés. Tout en fouillant la terre, il localise la cellule de Wolfer. Personne ne semble s’inquiéter de sa présence. Le tout était de ne pas trop attirer l’attention des sentinelles allemandes. Meyer appelle prudemment Wolfer et réussit à engager avec lui une conversation furtive et brève.

Albert Meyer se rend trois fois à la prison entre le 29 juin et le 6 juillet 1942. A chacune de ses visites, il en apprend davantage sur ce que les Allemands ont découvert sur son réseau. Manifestement, le filet se resserrait autour de lui: ils savaient que son réseau utilisait le village de Chamesol comme plaque tournante vers la Suisse et la Gestapo connaissait son vrai nom, l’un de ses pseudonymes, Duhart, ainsi que l’adresse de l’un de ses repaires. Mais pour le moment son PC était à l’abri. «File immédiatement, lui dit Wolfer. Ils m’ont interrogé très sérieusement à ton sujet. Ils savent beaucoup de choses sur toi.» Faisant fi du conseil de son agent, Meyer guetta la prochaine manœuvre des Allemands qui semblaient peu soucieux de bouger. Logiquement, la Gestapo aurait dû perquisitionner le domicile de Marie-Louise Chatel, à Grandvillars. Ils n’en faisaient toujours rien. Tout était calme au point que Marie-Louise Chatel décidait de retourner chez elle, en dépit des efforts de Meyer pour la convaincre du danger encouru. Avec l’entêtement qui la caractérisait, elle insista pour retourner à Grandvillars et manifesta en outre le désir d’accompagner Meyer lors de ses visites clandestines à Wolfer. Ce que Chatel veut… La présence de Marie-Louise Chatel dans ce jardin potager ne pouvait qu’attiser les curiosités. Au cours d’une conversation avec Wolfer, Meyer se sentit tout à coup surveillé. De la fenêtre d’une cellule voisine, deux détenus les observaient: il fallait abréger. Pour déjouer toute surveillance, ils descendirent par la vieille ville, évitant ainsi le passage qui mène à la caserne. Meyer apprendra quelques jours plus tard que l’un des détenus était un espion des Allemands. Avant de laisser Marie-Louise Chatel au car à destination de Grandvillars, Albert Meyer insiste pour qu’elle n’y passe pas plus d’une nuit. Le lendemain, le 6 juillet 1942, à 10 heures du matin, Marie-Louise Chatel fait ses adieux à Albert Meyer. Elle vient d’apprendre que trois fugitifs hollandais, qu’elle avait aidés, avaient été arrêtés quinze jours plus tôt à l’Hôtel de Paris. L’un d’eux s’était suicidé en s’ouvrant la gorge. Elle aurait dû trouver des passeurs aux deux autres pour les conduire en Suisse. Redoutant que les Allemands ne l’apprennent, elle n’a plus qu’une hâte: prendre le train de 13 h 15 pour Baume-les-Dames. Elle n’aura pas le temps de monter en voiture: les agents de la Gestapo l’attendaient sur le quai.

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