Sept.info | La Suisse, nid d'espions (5/9)

La Suisse, nid d'espions (5/9)

© Juliette Léveillé
Il était crucial pour les Alliés de recueillir un maximum d’informations sur cette région clé du fantastique dispositif qui, de la Hollande aux Pyrénées, allait passer à la postérité sous le nom de mur de l’Atlantique.

Allen Dulles, chef de l’OSS à Berne, a pour mission de trouver de l’argent afin de financer la Résistance et des opérations en France. De son côté, Albert Meyer récolte des renseignements sur le mur de l'Atlantique.

Tous les mois, Allen Dulles voyait débarquer chez lui un petit homme jovial à la voix de fausset. Ancien militant de l’organisation monarchiste des Camelots du roi, Pierre Guillain de Bénouville venait voir le chef de l’OSS (Office of Strategic Services, Bureau des services stratégiques) à Berne en tant qu’émissaire du mouvement de résistance Combat qu’il avait rejoint à la fin de 1942 après avoir quitté le réseau Carte, proche du SIS britannique (Secret Intelligence Service, Service de renseignement extérieur). Dulles avait établi le contact avec Combat par l’intermédiaire d’un ami commun, Philippe Monot, lui aussi avocat chez Sullivan & Cromwell. A la demande de Bénouville, Monot assura à Genève la liaison entre Combat et Dulles. Pour Bénouville, l’affaire ne présentait que des avantages. Les Américains lui fournissaient régulièrement des sommes qui s’élevaient à plusieurs millions de francs français, du matériel, et acceptaient d’envoyer ses messages à Londres. En revanche, les gaullistes de Londres l’avaient sommé de rompre tous ses contacts avec les Américains. Les Services secrets gaullistes (BCRA, Bureau central de renseignement et d’action) et l’envoyé spécial de de Gaulle, Jean Moulin, affirmaient en effet que la Résistance n’avait pas le droit d’accepter des fonds de l’OSS, ce qui était d’autant plus difficile à admettre que les gaullistes venaient de réduire le budget du mouvement Combat. En fait, le chef du BCRA, le colonel Passy, était convaincu que derrière les financements de l’OSS se cachait un complot américain destiné à isoler de Gaulle.

Passy sera d’autant plus furieux contre Bénouville qu’il apprendra que, le 8 mai 1943, s’était tenue à Berne une réunion entre des émissaires de Combat, des représentants de l’OSS et des officiers des SR (Services de renseignement) militaires français. Selon lui, cette réunion avait pour but de convaincre les dirigeants de la Résistance de travailler avec le SR plutôt qu’avec les Services secrets gaullistes. Bénouville n’en continua pas moins de travailler avec Dulles et Legge. Chacune de leurs rencontres était empreinte de bonne humeur et de cordialité. A Berne, Bénouville logeait généralement dans la villa du 23, Herrengasse, au domicile même d’Allen Dulles. Ces contacts noués avec les Alliés au début de 1943 n’étaient pas les premiers. A la fin de 1941, les dirigeants de Combat avaient à plusieurs reprises rencontré des émissaires des Services britanniques et américains. En novembre, Henri Frenay, le fondateur de Combat, avait eu une entrevue avec le général La Laurencie, l’ancien représentant du maréchal Pétain en zone occupée, accompagné par le général Legge. Mais ces négociations n’aboutirent pas, Frenay accusant bientôt La Laurencie d’être un instrument aux mains des Américains. En revanche, un accord avait été conclu avec le SOE (Special Operations ExecutiveDirection des opérations spéciales) britannique, au terme duquel des actions communes seraient entreprises, mais sans remettre en cause l’indépendance de Combat. Henri Frenay savait-il qu’il servait ainsi les intérêts des Services alliés, qui cherchaient alors pour la résistance intérieure une alternative au général de Gaulle? Combat était en effet un interlocuteur de choix. C’était le plus ancien et le plus puissant des mouvements de résistance créés en zone Sud. Le capitaine Henri Frenay, fait prisonnier pendant la campagne de France, avait créé au lendemain de son évasion, en août 1940, le Mouvement de libération nationale, ancêtre de Combat. Il avait multiplié les contacts, et mis sur pied une véritable organisation. Du moins sur le papier. En réalité, comme le remarque un témoin de l’époque, tout ce qui existait, c’était «des gens», réunis autour d’un petit noyau par une même volonté partagée de poursuivre la lutte par tous les moyens possibles. Aidé de Berty Albrecht, Henri Frenay fut pourtant l’un de ceux qui réussirent le mieux à faire coïncider organigramme et réalité. Dès le début de 1941, il avait établi des contacts avec des résistants de la zone occupée. Son mouvement avait pour vocation de rassembler, de fédérer les énergies. Aussi s’y souciait-on fort peu des opinions politiques de chacun. Au début, le MLN (Mouvement de libération nationale) avait même une teinte maréchaliste, qui ne tardera pas à disparaître lorsque Vichy s’engagera de plus en plus ouvertement dans la collaboration, même si Frenay avait conservé suffisamment de relations dans les cercles du pouvoir pour lui permettre, au début de 1942, de rencontrer à plusieurs reprises le ministre de l’Intérieur de Vichy, Pierre Pucheu.

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