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Sepp devant le glacier de Rossboden. © Pinaki

L’homme qui a grandi sous les glaciers

Sepp a trait sa première vache à l’âge de quatre ans. A six ans, il a été confié à sa marraine Antonia pour l’aider sur l'alpage de Rossbodustaful à près de 2’000 mètres d’altitude.

Depuis combien de temps les hommes contemplent-ils cette gigantesque masse de glace qui me fascine autant qu’elle m’effraie? Des éons, peut-être. Sepp, lui, ne semble nullement impressionné par cette langue gris-bleu qui s’avance par-dessus la moraine à plus de 3’000 mètres. Près de 80 ans qu’il l’observe de l’alpage où il a grandi. Une proximité et un compagnonnage qui ont valu à la poignée de cabanes en pierre jetées sur ce pâturage au-dessus de l’austère village du Simplon de partager son nom avec le glacier: Rossboden en haut allemand ou Rossbodu en schwyzerdütsch, de Ross «cheval» et Boden «sol». Références à l’âge d’or du col du Simplon et au négociant de Brigue Kaspar Jodok von Stockalper (1609-1691). Surnommé le «Roi du Simplon», il fut le premier à faire fortune en transportant à dos de mulet le sel en provenance de la Méditerranée. La voie était ouverte pour la soie entre Lyon et Milan et enfin la poste entre Genève et la Lombardie, avant que Napoléon ne fasse construire la première route carrossable au début du XIXe siècle pour acheminer ses canons vers le sud. Col qu’au demeurant le premier Empereur des Français ne franchira jamais.

Longtemps, ce sont les femmes qui ont régné sur les Alpes du bassin versant du Pô, les hommes étant occupés au travail des champs à plus basse altitude. Pour gagner les estives, elles bourraient leur Tschiffra, sorte de hotte en lamelles de bois portée sur le dos, même... de leurs bébés. «Nous ne marchions jamais les mains vides», précise Sepp qui s'est mis debout pour la deuxième fois sur le dos de sa mère, se balançant au rythme de ses pas. «La première fois, c'était dans son ventre.» Là-haut, femmes et enfants s’occupaient des troupeaux, cultivaient les légumes, fabriquaient le beurre et le fromage. Joseph Gerold, dit Sepp, est né le 8 novembre 1944. A l'âge de quatre ans, il a trait sa première vache et, deux ans après, commencé à travailler à Rossbodustaful (nom de l’alpage en dialecte) à 1’930 mètres d’altitude. Par la suite, il a eu pour mission d’aller chercher les chèvres montées aux confins du pâturage que domine le glacier. Septante ans plus tard, je marche dans ses pas qui nous mènent vers ces hauteurs. Nous avons quitté le chemin de randonnée pour suivre le sentier des biquettes. Les rares indices de notre progression dans ce paysage minéral sont les herbacées grignotées par les marmottes... que seul Sepp remarque. Dans les pierriers, nous devons adopter la technique de marche des caprins en appui latéral et en diagonale. Tandis que je peine à avancer, perdant l’équilibre à chaque débris de roche qui roule sous mes pieds, l’ancien gardien de troupeau se promène comme s'il était dans son jardin. Et c'est le cas: il gravit des pentes quasi verticales au-dessus de la moraine, là où jadis ses chèvres se sont aventurées et où il est venu les chercher. «En ce temps-là, nous étions jeunes et beaux. Maintenant, nous ne sommes plus que beaux...», raille l’octogénaire qui connaît les plis et replis de cette montagne mieux que les rides de ses mains. Chaque accident de terrain, chaque particularité topographique porte un nom connu des seuls gentilés de cette région: Undrä et Obrä Stossbodu (sous et au-dessus d’une élévation du sol), Furgghalte, cette pente qui mène à la prochaine crête, Eselblatten, ce plateau rocheux, Hirtufluä, cette arête d’où les paysans pouvaient surveiller leur troupeau...

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