Le roman de Christopher Priest Le Prestige et le film qu’en a tiré Christopher Nolan en 2006 racontent la rivalité de deux illusionnistes dans l’Angleterre victorienne. A un moment du récit, l’un des prestidigitateurs, afin de réaliser un numéro de disparition plus spectaculaire que celui de son concurrent, fait appel aux services de l’inventeur Nikola Tesla. Son apparition dans d’autres livres comme Moon Palace de Paul Auster ou Des éclairs de Jean Echenoz, dont il est le héros, ainsi que dans plusieurs films, a fait de ce savant né en 1856 une figure de la culture populaire. En hommage à ses réalisations, la société de fabrication de voitures électriques cofondée par Elon Musk a été baptisée Tesla Motors. En 1960, son nom avait également été choisi pour désigner l’unité d’intensité du champ magnétique. De plus, ses vues grandioses sur la transmission de l’énergie et la communication planétaire ont contribué à en faire un héros de la contre-culture, du mouvement de «l’énergie libre» (utopie technologique pseudoscientifique mâtinée de théorie de la conspiration) et de l’idéologie New Age. Qualifié par la presse de son temps de «sorcier» à l’instar de son rival Thomas Edison, cet ingénieur électricien d’origine serbe organisait, pour présenter les résultats de ses travaux, des sortes de numéros de music-hall. Etait-il un génie, un illuminé ou un imposteur? C'était en vérité à la fois un inventeur de génie, un visionnaire de la technologie, un prodigieux homme de spectacle, un mythomane victime de ses propres mystifications et un homme à la psychologie passablement troublée.
La première biographie qui lui a été consacrée, écrite par le journaliste scientifique John J. O’Neill, qui était son ami, le décrit comme un surhomme doté de pouvoirs hors du commun. Elle est à l’origine d’une série de légendes qui seront souvent reprises sans examen dans les biographies postérieures, dont certaines sont totalement fantaisistes. D’autres suivront, mieux écrites et documentées, mais rédigées par des auteurs spécialisés dans l’ésotérisme et les pseudosciences ou dont les connaissances scientifiques laissent à désirer. Avec Tesla: Inventor of the Electrical Age, W. Bernard Carlson, historien et sociologue des sciences et des techniques, a produit l’ouvrage qu’on attendait depuis des années: une biographie objective, critique et d’une impeccable solidité scientifique. L’histoire qu’elle relate est celle d’une «spectaculaire ascension» suivie d’une «chute dramatique». Né en Croatie, qui faisait alors partie de l’Empire austro-hongrois, Nikola Tesla, fasciné par l’électricité depuis l’enfance, s’est formé dans ce domaine à Graz, à Budapest puis à Paris, dans un laboratoire qu’y avait installé Thomas Edison. Peu à peu s’est précisée dans son esprit l’idée d’un moteur électrique (ou d’un générateur) utilisant, contrairement à la pratique la plus répandue, non pas du courant continu mais du courant alternatif, et dans lequel le champ magnétique tournant qui donnerait naissance au mouvement serait engendré, non dans la partie en rotation (le rotor) mais dans la partie immobile (le stator).