La route du yellowcake serpente depuis la ville portuaire de Cotonou, au Bénin, jusque dans les profondeurs éclatantes du Sahara, se désintégrant lentement en chemin. Quand les camions atteignent la ville minière d’Arlit, où est extrait le minerai d’uranium dans des mines à ciel ouvert avant d’être traité en yellowcake (concentré d’uranium, poudre grossière non soluble dans l’eau qui contient environ 80% d’uraninite et fond à 2’878 degrés; il s’agit du produit final du procédé d’extraction de l’uranium, ndlr), il y a alors plus de trous sur la route que de goudron. Les trous dans les portions les plus isolées sont si profonds que les habitants de la région surnomment «nids-de-chameau» ce que nous appelons habituellement des nids-de-poule. Les camions roulent au pas dans un bruit assourdissant sur les plaines épineuses et ensablées du Sahara, pour livrer de la dynamite aux mineurs et retourner au port, chargés de barils de yellowcake. Arlit et ses installations minières forment un îlot industriel difficile à protéger dans cet océan désertique, qui était aux mains de la rébellion à peine cinq ans plus tôt. Les djihadistes du Sahara l’ont attaquée trois fois depuis 2010. Il nous aura fallu vingt heures étalées sur deux jours pour parcourir les 965 kilomètres de route délabrée qui mènent de Niamey, la capitale du Niger, jusqu’à la ville minière.
J’ai voyagé dans un Land Cruiser des années 1990 avec une équipe de journalistes venus du sud du Niger pour réaliser un reportage sur les conditions de travail atroces dans les mines à ciel ouvert, et couvrir les célébrations qui ont lieu dans le massif de l’Aïr, piliers de la culture et de la tradition touaregs. A mesure que nous nous enfoncions dans le nord du désert, les journalistes devenaient de plus en plus méfiants. Sadou, le cameraman, nous faisait peur avec ses histoires de rebelles touaregs et de marabouts démoniaques. Le chemin coupait à travers des lits de rivières asséchées, aux rives pentues. «C’est l’endroit le plus dangereux, disait Sadou. C’est toujours là que les rebelles ATTAQUENT!» Il avait appuyé ce dernier mot avec un claquement des cinq doigts. La chaîne hi-fi crachait des morceaux MP3 bourrés d’Auto-Tune en langue haoussa, signés Maradi et Zinder. Dans ce qui ressemblait plus ou moins à du gangsta rap, l’un des chanteurs menaçait de tabasser quiconque piraterait ses chansons. «Il a été la cause de pas mal de divorces, a dit Sadou. Des femmes mariées ont escaladé les murs de leurs maisons pour aller le voir chanter. C’est pour ça que les marabouts prient pour qu’il meure jeune.»