Le 5 novembre 1872, Victoria Claflin Woodhull, 34 ans, le passe en prison. Une anecdote de plus dans une vie foisonnante, faite d’incroyables hauts et bas. Mais la date est d’importance: ce jour-là, les Etats-Unis vivent leur vingt-deuxième élection présidentielle. Ils rééliront Ulysses E. Grant, qui avait accédé à la Maison-Blanche après avoir commandé l’armée nordiste sous la présidence d’Abraham Lincoln. On ignore le nombre de suffrages recueillis par Victoria Woodhull: elle était inéligible, non pas parce qu’elle était une femme, mais parce qu’elle n’avait pas les 35 ans requis. Elle a pourtant bel et bien été nommée candidate – par le parti qu’elle a elle-même fondé, l’Equal’s Right Party, le 10 mai 1872. Le colistier proposé à la vice-présidence est l’abolitionniste et esclave affranchi Frederick Douglass, lui-même n’ayant toutefois jamais accepté cette nomination. Le jour J, donc, la première candidate féminine se trouve derrière les barreaux, pour une affaire sur laquelle nous reviendrons. Ce même 5 novembre, une compatriote, Susan B. Anthony, est jetée en prison pour avoir osé voter. Il faudra attendre près de cinquante ans pour que les citoyennes américaines obtiennent le droit de vote, en 1920.
Alors que, pour la première fois de leur histoire, les Etats-Unis semblaient bien partis pour élire, en novembre 2016, une femme à la Maison-Blanche en la personne de Hillary Clinton, Victoria Woodhull est quasi tombée aux oubliettes. Une injustice d’autant plus flagrante qu’elle a eu énormément de courage, sinon un brin de folie, pour se lancer à l’époque. Elle n’en est d’ailleurs pas à son premier coup d’éclat; deux ans auparavant, n’a-t-elle pas ouvert, avec sa sœur Tennessee, une agence à Wall Street, le quartier financier de New York? La presse les décrit alors comme les «reines de la finance». Mais revenons en arrière.